Nous
quittions le Québec le 11 juillet à partir de l'aéroport de
Dorval. Notre vol avec Corsair nous amenait jusqu'à Paris-Orly. De
là il nous fallut traverser Paris en RER pour rejoindre l'aéroport
de Roissy. Après une pause devant Notre-Dame-de-Paris, juste pour
dire (je ne l'avais jamais vu), nous avons repris le RER jusqu'à
l'aéroport Charles de Gaulle. Cette petite traversée nous aura
coûté presque 40 € juste en train. Ça incluait les deux ou trois
pièces données au petit monsieur qui jouait de l'accordéon dans le
wagon.
Nous reprîmes un vol Lufthansa vers București via Franfkurt. «Francfort c'est dans quelle partie de la France?» demandai-je un jour à un ami français. Il s'est bien foutu de ma gueule. De Frankfurt à la Roumanie, nous étions placés à côté de Camille, une Québécoise à la double nationalité canadienne et belge (héritage de son père) et qui avait failli manquer sa correspondance en provenance de Bruxelles. Elle s'en allait rejoindre un groupe de jeunes, belges aussi, pour faire de l'aide humanitaire dans une bourgade de la région de Iași.
Nous l'avons
perdu de vu dès notre arrivée à l'aéroport
d'Otopeni vers minuit. Contre toute attente, il restait un autobus pour le centre-ville. J'étais content d'éviter les taxis parce que tous les guides de voyage mentionnaient les risques de se faire
arnaquer par ceux stationnés à l'aéroport. Dans le bus, un sympathique roumain nous pris sous son aile et nous vint en aide avec ses quelques mots de français. Il nous fit descendre de l'autobus sur la Piața (Place) Romană et négocia pour nous un vrai taxi roumain. Les chauffeurs ne voulaient pas nous prendre, n'allant pas assez loin à leur goût. En pleine nuit, dans une ville que l'on ne connaissait pas, nous n'avions pas envie de marcher jusqu'à notre hostel. Même notre sympathique Roumain ne voulait pas nous laisser partir à pied. Il avait peur des bandes de Tsiganes. Les préjugés contre eux sont forts en Roumanie.
arnaquer par ceux stationnés à l'aéroport. Dans le bus, un sympathique roumain nous pris sous son aile et nous vint en aide avec ses quelques mots de français. Il nous fit descendre de l'autobus sur la Piața (Place) Romană et négocia pour nous un vrai taxi roumain. Les chauffeurs ne voulaient pas nous prendre, n'allant pas assez loin à leur goût. En pleine nuit, dans une ville que l'on ne connaissait pas, nous n'avions pas envie de marcher jusqu'à notre hostel. Même notre sympathique Roumain ne voulait pas nous laisser partir à pied. Il avait peur des bandes de Tsiganes. Les préjugés contre eux sont forts en Roumanie.
Une fois à
la Green Frog Hostel, nous comprenions pourquoi les chauffeurs ne
voulaient pas nous prendre : les taxis roumains n'étaient
vraiment pas cher. Un trajet de cinq minutes, ça ne faisait pas
gros. Le jeune homme qui attendait notre arrivée nous accueillit
avec un anglais moyen et un accent facilement identifiable : il
était français. Son nom était Arthur. Il connaissait Port-Cartier
et la Côte-Nord pour y avoir séjourné quelques mois avec Ilya
Klvana, ce québécois d'origine tchèque, qui a traversé le Canada
en kayak et qui a publié son aventure dans Une traversée du
Canada en Kayak, aux éditions Transboréal. Arthur nous montra
ensuite notre chambre, qui était déjà occupé par deux chats.
Après
l'expulsion des squatters allergènes, nous avons discuté de choses
et d'autres avec Arthur. Étant donné le décalage horaire et le
sommeil léger de trois vols, nous avions besoin d'une bonne nuit.
Nous nous levâmes donc à 11h le matin du 13 juillet... pas
tellement fiers de nous parce que nous avions perdu un avant-midi
dans la ville, mais bien reposés pour commencer à la parcourir.
București
Comme à notre habitude, nous avons sillonné la ville de long en large à pied, en métro et en bus. Passant un peu vite sur la vieille partie, nous nous sommes rattrapés en passant du bon temps dans les marchés, les rues, les grands carrefours et les parcs. En sortant du parc Herăstrău, nous avons trouvé le Musée du village roumain.
Construit
sur le même principe que le Village québécois d'antan, il n'y
avait qu'à suivre les chemins qui menaient d'une maison à l'autre.
Pour notre plaisir, des artisans exposaient (et vendaient), des
articles traditionnels comme des poteries, des peintures et des
vêtements. Notre coup de cœur revint à un peintre d'icônes. Il
nous parla dans un très bon français de son art et de son pays. C'est
avec une pointe d'inquiétude qu'il nous demanda si nous allions
rester dans la capitale pour toute la durée de notre séjour. Nous
le rassurâmes en lui décrivant l'itinéraire qui nous attendait.
București
à première vue apparaît délabrée. Beaucoup d'immeubles
abandonnés, des déchets partout, des chiens errants, un grand
contraste entre les quartiers riches et pauvres (souvent adossés).
J'ai adoré cette ville. Son petit côté voyou m'a fasciné. De
plus, la fréquence et le faible coût des transports en commun
faisaient que tout était accessible en ville comme en périphérie.
Târgoviște
Le 14
juillet, nous nous rendîmes à Târgoviște,
une ville voisine. Là-bas nous voulions voir la Tour Chindiei,
construite pendant le règne de Vlad Țepeș, prince de Valachie,
mieux connu sous le nom de Dracula. C'est dans une cafétéria de
Târgoviște que nous avons goûté à ce qui se rapproche le plus du
quotidien des Roumains. Nous y avons mangé pour 29,80 Lei (leu au
singulier), soit moins de 10 dollars pour deux gigantesques
assiettes, entrées et breuvages inclus. Comme nous ne comprenions
rien au menu, nous avons pointé. Facile.
Cette
journée était aussi très chaude, il faisait bien 40° C. Pour
rentrer à București, nous devions traverser
Târgoviște à pied pour rejoindre la gare d'autobus. Ce que nous
ignorions, c'est qu'il y avait plusieurs gares d'autobus à
Târgoviște. Le taxi était la solution. Le chauffeur nous prit, on
lui demanda de nous amener à la gare qui dessert București.
Il nous offrit de nous ramener lui-même jusqu'à la capitale, mais
nous n'étions pas encore habitué. Nous allions le regretter. La
climatisation de l'autobus était brisée. Encore aujourd'hui nous ne
sommes pas certains si nous dormions durant le trajet, ou si nous
étions dans le coma. À la première station de métro croisée,
nous sommes descendus pour profiter de la fraîcheur de
l'underground.
Le réseau de métro de București était très efficace et comme le
reste des transports en commun, très abordable. Six lei pour un
billet quotidien, c'est moins de deux dollars. L'intérieur des
wagons était bien singulier : très larges, ils communiquaient
les uns aux autres. Si on se trouvait à l'avant du train, on pouvait
marcher jusqu'à la queue, sans passer de porte.
Monastère de Snagov
Le lendemain
de notre virée à Târgoviște, le
dimanche 15 juillet, nous entreprenions une autre visite à
proximité de la capitale. Nous voulions visiter le monastère de
Snagov, près du village de Siliștea
Snagovului. Le monastère se trouve sur une petite île du lac
Snagov. Ce minuscule plan d'eau est très prisé des amateurs de
pêche roumains. Le paysage y est magnifique et le dictateur Nicolae
Ceaușescu, exécuté le jour de
Noël 1989, y avait un palais d'été. Le bâtiment, grandiose, y est
toujours.
Ce
n'était cependant pas pour Ceaușescu que nous voulions aller au
lac, c'était pour voir le dernier repos de Dracula. Assassiné
en 1476, la tête lui fut tranchée par son meurtrier qui devait la
ramener à ses commanditaires turcs. Son corps fut inhumé au
monastère. Comme le lieu est bien connu, nous nous attendions à
nous y rendre facilement.
Le trajet
pour se rendre à Siliștea
Snagovului prend normalement de 30 à 40 minutes à partir de
București
et le monastère se trouve ensuite à moins de 20 minutes
de marche. Ça, nous l'ignorions. Un plan collé sur le réfrigérateur
de notre hostel devait nous aider à nous rendre.
Tel qu'indiqué, nous avons pris l'autobus 444 à la Piața Presei
Libere. Il était environ 8 heures du matin. Le plan disait ensuite
de ne pas s'arrêter au village de Snagov. Nous y sommes descendus.
Ça commençait bien mal. Un Roumain, propriétaire d'une petite
épicerie, nous apporta son aide en nous offrant une superbe carte de
la région du lac Snagov. Un peu débinés de nous retrouver du
mauvais côté du lac et devant un trajet compliqué par notre
erreur, la décision de se rabattre sur la capitale était de loin la
plus simple.
À
l'extérieur de la petite épicerie, là où se trouvait l'arrêt de
bus, attendait une jeune Franco-roumaine qui était venue visiter sa
grand-mère. Aussi incertaine que nous sur l'horaire d'autobus, elle
se demandait combien de temps nous allions attendre. Un autre 444
fini par passer. Une fois bien certain de notre destination,
București
et confortablement assis à la climatisation, l'orgueil me frappa de
plein fouet. Nous étions en Roumanie, à quelques kilomètres de la
sépulture de Dracula et nous nous dirigions dans le confort, vers la
facilité. Quels lâches nous faisions.
Avec
mon guide de conversation d'Europe de l'Est en main, j'allais voir le
chauffeur pour lui demander en un langage très approximatif, comment
se rendre au monastère. Il comprit très bien et me répondit un
truc qui, selon Google Traduction, devait ressembler à «ia cele
patru patru trei pe drumul naţional unu». Devant mon incrédulité,
un jeune homme qui parlait quelques mots d'anglais me dit : «You
have to take the four four three». Ah! Oui? Où ça?
Sur
la Route Nationale 1. Nous débarquions du 444 sur le coin de cette
route où les voitures filent à plus de 120 km à l'heure. Le
chauffeur prend à gauche vers București, nous à droite vers le
monastère. Rien n'indique que nous sommes à un arrêt de bus. Il
n'y a qu'une gigantesque publicité qui nous fait de l'ombre et un
petit In Memoriam,
placé en l'honneur des nombreuses personnes mortes en attendant le
443. Du moins est-ce notre hypothèse, appuyée par notre observation
de la Route Nationale 1.
Après ce qui nous sembla une éternité, nous commençâmes à
douter. Un bus arriva, il n'était pas écrit 443 dans son
pare-brise, mais il s'arrêta tout de même. «Siliștea Snagovului?»
demandai-je au chauffeur. «Nu!» répondit-il. Pas de chance. Une
Audi s'arrêta. C'était un couple divorcé de București. Nous
n'avons pas cherché à en savoir plus sur le sujet. Ils cherchaient
leur chemin pour aller passer la journée au lac et ce faisant, ils
offrirent de nous prendre et de nous aider à nous rendre au
monastère.
Nous avons appris à leur contact que les Roumaines ont une très
mauvaise pension de retraite, que tout Roumain a une grande facilité
à apprendre l'italien, qu'il existe des cigarettes électroniques
pour arrêter de fumer et que notre chauffeur en vend pour gagner sa
vie. Lui parlait un anglais fort acceptable et elle ne parlait que le
roumain. Il me demanda pourquoi, venant du Canada, mon anglais était
si minable. Je lui répondis avec tout le flegme que je possède, que
nous étions francophone. C'était plus simple et plus diplomatique
que de me lancer dans l'explication de la théorie selon laquelle il
est préférable d'adapter notre langage à celui de notre
interlocuteur.
Outre les conversations générales, notre couple de divorcés nous
entretint sur les multiples attraits de leur Roumanie. C'est avec un
peu d'inquiétude qu'il nous demandèrent, comme le peintre du Musée
du village roumain, si nous allions passer tout notre séjour à
București. Les Roumains n'aiment pas leur capitale. Pendant cette
conversation touristique, nous nous engageâmes sur un chemin
secondaire bordé d'arbres. Nous allions vers la Dolce Vita, un hôtel
chic installé au bord du Lac Snagov.
J'avais
déjà lu que l'île du monastère était reliée à la terre par un
pont pour piétons. Nous rendre à la Dolce Vita me semblait
contre-productif, mais nos Roumains eux, y voyaient la meilleure
façon de nous aider. Une fois à l'hôtel ils négocièrent pour
nous, directement avec le propriétaire des lieux, un bateau vers
l'île. Un homme à tout faire fut délégué pour
piloter la chaloupe et nous ramener. Ça en valait la peine. Le
soleil brillait, le paysage était splendide sous la chaleur intense
et rien n'eut été plus pittoresque pour atteindre notre but. Au
passage, le jeune homme nous indiqua le fameux palais de Ceaușescu.
Du même endroit, il était déjà possible d'apercevoir les pignons
d'une petite église, en plein milieu de l'île.
Il
devait bien être 11 heures à notre arrivée sur l'île. Le jeune
homme qui conduisait se mit en devoir d'attendre notre retour. Comme
il ne parlait que le roumain, nous avions un peu de mal à lui faire
comprendre que nous allions revenir par nos propres moyens. C'est un
jeune Roumain qui nous vint en aide. Parlant un anglais parfait, il
expliqua pour nous. Notre pilote prit donc les 10 €
promis à son patron– et un pourboire de quelques Lei pour lui,
puis il repartit vers la Dolce Vita. Atteignant enfin notre objectif,
il nous faudrait encore en revenir, mais chaque chose en sont temps.
Le monastère
de Snagov est minuscule. Une petite église, une petite maison pour
abriter les moines et quelques bâtiments de ferme pour l'élevage
des animaux. Nous nous attendions à un Disneyland Dracula; nous
avons trouvé un lieu de pèlerinage paisible et peu fréquenté. Un
prix d'entrée ridiculement bas nous donnait le droit d'assister à
une messe en cours (nous nous réjouissions d'avoir choisi un
dimanche pour la visite) et un tarif ridiculement élevé nous
donnait le droit de prendre des photos et de filmer l'intérieur de
l'église. Après avoir mûrement réfléchi, nous déboursions les
20 € et nous filmions et photographions à outrance les murs
richement peints, les gens consultant le prêtre et la tombe du
prince.
Le prêtre paniqua un peu, mais quand son commis lui assura que nous
avions payé les droits de photographie, il nous offrit des pommes et
du pain. N'ayant pas prévu de passer autant de temps à la recherche
du monastère, nous n'avions rien à manger, sinon quelques noix
assez mauvaises et des barres granola. C'est en recevant cette
offrande que nous avons fait connaissance avec Teodor, un jeune homme
de Piatra Neamț qui étudiait à București.
Il parlait un bon français, acquis en faisant plusieurs échanges de
lycée en France. Ne sachant toujours pas comment revenir à
București, nous lui demandions comment il s'y prendrait. Il nous
expliqua qu'il retournait prendre le 443 à Siliștea Snagovului vers
13 heures et que nous n'avions qu'à l'accompagner. Ce que nous
fîmes.
Entretemps
nous avons flâné sur l'île et bu l'eau, excellente, d'un puits
creusé derrière l'église. Nous en avions bien besoin. Nos gourdes
étaient presque vides. À 13 heures, en compagnie de Teodor, nous
traversions le pont piétonnier qui menait à Siliștea Snagovului,
directement sur la rue Mânăstirea Vlad Ţepeş. En 20 minutes nous
rejoignions un arrêt d'autobus, un vrai et nous buvions un thé
glacé acheté dans une petite épicerie tout près. Dans le bus,
Teodor me demanda comment étaient les femmes canadiennes et il me
parla de son intention de quitter la Roumanie. Il nous guida jusqu'au
centre-ville de la capitale.
Brașov
Le
lendemain, lundi 16 juillet, nous quittions déjà la capitale en
direction de Brașov, à partir de
la Gara de Nord.
C'était notre première expérience de train en Roumanie. La gare
était grande et de vieux tableaux indiquaient les différents
départs. Nous ne comprenions pas trop pourquoi notre quai n'était
pas indiqué, mais une sympathique roumaine nous expliqua en anglais,
qu'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, que nous n'avions qu'à
nous fier aux numéros des trains. Puisque nous devions prendre le
1582, il suffisait de chercher le même numéro dans les arrivées. Une
fois informés de notre quai, nous foncions vers celui-ci pour nous
tromper de wagon. Pas de panique, nous avons trouvé bien vite. Le
trajet fut très agréable, excluant notre mauvais choix de
pâtisseries que nous emportions pour déjeuner.
Si
la région de la capitale est très plane, pour se rendre à Brașov
il nous fallut traverser les Carpates. Les paysages étaient
impressionnants. Beaucoup plus touristique, beaucoup plus
propre, beaucoup plus tape à l'oeil, nous étions maintenant à
Brașov. Le nom de la ville
est écrit sur la montagne la plus près comme à Hollywood. Dès
notre arrivée nous avons trouvé la Kismet Dao Hostel (à l'aide
d'un taxi pas cher), déposé nos sacs et nous avons commencé à
parcourir la ville. Un téléphérique nous permit de monter jusqu'au
'Brașov' géant pour admirer la
ville. C'était la première journée couverte de tout le voyage et ce fut
la dernière avant la Hongrie.
Une
vieille Roumaine était installée avec son chaudron et ses épis de
maïs à la sortie du téléphérique. Elle nous a arnaqués, mais
c'était bon. À titre de ville plus touristique, Brașov
était idéale pour trouver des souvenirs. Nous avons acheté de
vieilles pièces de monnaies, des dessins pour nos mamans et 36
cartes postales pareilles.
Avec tous ces souvenirs, je commençais à manquer de liquidité et
un arrêt à un guichet automatique devenait indispensable. Comme je
n'avais toujours pas essayé la Banca Transylvania et que je trouvais
son nom très folklorique, je me dis que c'était son tour. J'entre
ma carte de crédit et demande 500 lei. L'appareil me rend ma carte
et normalement, l'argent aurait dû suivre. Cependant, le guichet
s'éteignit et plus rien ne se passa. Je me rendis à un autre
guichet pour avoir des sous, j'en avais vraiment besoin, et tout
fonctionna.
À notre retour à l'hostel, je vérifiai en ligne si les deux
transactions avaient été autorisées dans mon compte, elles
l'étaient. Le lendemain nous passions par la Banca Transylvania pour
demander un remboursement. On nous répondit que je devais m'en
remettre à mon institution financière. J'allais devoir attendre
notre retour au Québec pour savoir si j'avais perdu ou non 500 lei.
En attendant, je me réjouissais que la panne se soit produite après
avoir récupéré ma carte de crédit. J'en avais encore besoin.
À
Brașov nous devions profiter au maximum de notre première demi
journée parce que, dès le lendemain, j'avais retenu les services
d'un chauffeur/guide, qui devait nous amener voir trois châteaux de
la région. C'est une façon assez commune de faire du
tourisme en Roumanie. On engage un chauffeur qui nous amène où on
veut. Même le couple de divorcés de notre journée au lac nous
avait mentionné cette façon de faire. J'étais assez fier de
pouvoir leur dire que j'avais réservé quelqu'un avant notre départ.
Ils trouvaient que je le payais un peu cher, mais il allait nous
rendre la valeur de notre argent jusqu'au dernier bani.
Bogdan
J'ai trouvé
notre guide, Bogdan Ghenoiu, en cherchant 'brasov day tour' sur
Google. Son site était garni de fautes, mais j'ai été charmé par
son fonctionnement par gentlemen agreement. C'est-à-dire que
je lui donnais l'adresse de notre hostel et qu'il passait nous
prendre à l'heure convenue. Pas de frais de réservation, pas de
numéro de carte de crédit à donner : une entente de
gentlemen. Pour 70 € (on a souvent eu besoin d'€ pendant le
voyage), il nous faisait visiter la forteresse de Râșnov,
le château de Bran et celui de Peleș.
C'est en attendant Bogdan à la porte de notre Hostel qu'une voiture
s'est arrêtée et que son conducteur en est sorti pour venir me
demander des directions. Comme il ne parlait que le roumain, j'y suis
allé de la carte et des gestes. On s'est comprit. C'est à ce moment
que j'ai été convaincu que les touristes en Roumanie sont
majoritairement roumains.
Il faut que j'avoue que jusqu'à la toute dernière minute d'attente,
je conservais des doutes. Gentlemen Agreement
oui, mais qui me disait qu'il serait au rendez-vous. Une fourgonette
de marque Hyundai, avec seulement quelques marques de la conduite
roumaine, s'arrêta enfin. C'était Bogdan. Il avait quelques minutes
de retard, rien de bien grave. Il nous invita à monter
immédiatement. Ce que nous fîmes.
Râșnov
est à proximité de Brașov. La citadelle médiévale que nous
allions visiter est située sur une petite montagne où il est
possible de monter avec le Transilvania
Train (un tracteur et
une charrette). Bogdan, en tant que guide officiel, ne payait pas
pour entrer dans les sites touristiques. Il était toujours avec nous
et nous donnait une foule d'informations sur tout ce qu'on voyait.
C'était peut-être n'importe quoi, mais ça nous semblait vrai.
Avant de redescendre, il y avait des vendeurs de fruits sauvages.
Nous en avons acheté, Bogdan aussi. Il a d'ailleurs passé la
journée avec des traces de bleuets dans le visage. Encore
aujourd'hui on se sent un peu mal de ne pas le lui avoir fait
remarquer.
Sur la route
vers Bran, Bogdan nous apprit qu'il avait vécu sept ans en Irlande.
Son anglais était vraiment très bien avec un accent qui lui faisait
rouler ses 'r' et prononcer certains 'o' en 'a' : «So toumArrro
you arrre tou stôp in Sighişoarrra?».
Le
château de Bran a été associé à Dracula, selon ce que Bogdan
nous a raconté, par des amateurs de Bram Stoker, qui y reconnaissait
la description donnée par l'auteur dans son célèbre livre. En
vérité, Bram Stoker n'a jamais mis les pieds en Roumanie et il n'y
a que des suppositions sur le passage de Vlad Țepeș dans ce
château. Qu'à cela ne tienne, le village avait cet aspect de
Disneyland que nous n'attendions plus depuis Siliștea Snagovului.
Des rangées d'échoppes vendant des souvenirs, des centaines de
touristes partout, des gens costumés en sorciers, zombies ou
vampires. Un tour rapide des boutiques nous permit de vérifier ce
que notre guide privé nous avait mentionné : «all genuine
romanian souvenirs, made in China».
Entre Bran
et Peleș, Bogdan nous fit
l'introduction de notre prochaine visite.
Le château fut construit près de la ville de Sinaia pour le roi
Carol 1er.
Sous l'ère communiste, Ceaușescu voulut en faire une maison pour
recevoir les hôtes du régime. Comme son mauvais goût était aussi
célèbre que son hypocondrie, des proches inquiets du sort du palais
lui firent croire qu'une bactérie transmissible à l'humain vivait
dans les vieilles boiseries du palais. Il n'y remit plus jamais les
pieds. En 1989, les héritiers du roi récupérèrent Peleș (la même
chose se fit pour Bran, par d'autres têtes couronnées).
L'extérieur du palais impressionnait, mais nous étions vannés.
Nous pensions laisser tomber la visite, mais Bogdan ne l'entendait
pas ainsi. Avant même de partager notre lâche idée avec lui, il
était parti s'informer de l'horaire de la prochaine visite en
anglais. Une chance parce que la visite en valait la peine. Dans la
file d'attente un vieux British nous parla de Louis Riel.
Bogdan trouvait que son hygiène laissait à désirer, mais nous le
trouvions bien drôle. Il avait une attitude de je-sais-tout, qui
fait toujours sourire.
Une
fois à l'intérieur, un signe nous indiquait No
Picture. Nous avons tout
de même photographié nos pantoufles. Chaque
nouvelle salle que nous voyions était plus riche que la précédente.
Pour la pauvre
Roumanie du 19e siècle,
c'était inattendu. Nous
avons acheté le petit livret, histoire d'avoir un autre souvenir
visuel que celui de nos pieds.
Bogdan avait très bien choisi l'ordre de présentation des châteaux.
Dans mon innocence, je croyais que nous nous rendrions au plus loin
de Brașov, Peleș, pour ensuite nous rapprocher de notre point de
départ, en terminant avec Râșnov. Le contraire était beaucoup
plus efficace, passant des ruines d'une forteresse médiévale, à un
château richement entretenu et terminant avec le palais royal. Nous
lui avons fait le commentaire. Il en était très fier.
De retour à Brașov, Bogdan nous laissa au centre-ville où nous
avons mangé une pizza. Nous savions que plus tard il y aurait un
concert d'orgue à l'Église Noire, le monument le plus connu de la
ville et nous entendions bien y assister. Notre passage en Roumanie
coïncidait avec un événement politique majeur : un vote de
confiance par référendum devait avoir lieu quelques jours après
notre départ. Le président en poste, Traian Băsescu, était sur la
corde raide. Quand nous avons demandé à Bogdan ce qu'il pensait de
tout ça, il nous a simplement dit que Băsescu n'était peut-être
pas tout à fait transparent, mais qu'il n'y avait personne de
compétent pour le remplacer actuellement.
En
nous rendant au concert d'orgue, nous avons dû traverser la Piaţa
Sfatului où se déroulait une grande manifestation en faveur de la
destitution du président. Des orateurs enflammés scandaient des
slogans que nous ne comprenions évidemment pas. Nous avons même eu
droit à un fanion.
Une fois dans l'église, je me disais que c'était
une belle occasion d'enregistrer illégalement le concert, pour
ensuite utiliser la musique dans mes montages vidéo. Deux choses que
je n'avais pas prévues ont drastiquement changé mes plans :
le bruit de la manifestation qui se déroulait à deux pas et la
musique qui était fort mauvaise. En fin de compte, c'était
seulement une belle occasion de visiter une très vieille église.
Itinéraire de Brașov à Sighişoara
Brașov se terminait déjà pour nous le lendemain. Nous poursuivions
notre voyage en compagnie de Bogdan. J'avais trouvé un long trajet
par Google Maps et lui avais demandé s'il était en mesure de nous
accompagner dans cet itinéraire. Il me répondit qu'il n'y avait pas
de problème pour 170 €. Nous en étions encore à quelques mois du
voyage quand je lui ai fait cette demande et mon budget n'était pas
tout à fait fixé. Après réflexion et recherche d'une solution de
rechange qui s'avéra inexistante, j'acceptais son prix.
Le trajet prévu nous menait de Brașov à Sighişoara en passant par
Curtea de Argeș, Arefu, la Transfăgărășan (route qui traverse
les montagnes Făgărăș, plus hauts sommets des Carpathes du sud),
Voila et Apold. C'était une route bien indirecte, mais elle nous
permettait de voir du pays. Bogdan nous a conduit pendant 10 heures à
travers les superbes routes de la campagne roumaine. Il arrêtait
quand on voulait et davantage, pour nous faire profiter des meilleurs
points de vue.
Notre premier arrêt prévu n'était pas Curtea de Argeș, mais
Poenari, tout près d'Arefu. Poenari est la véritable citadelle de
Dracula. C'est là qu'il entreposait son trésor et qu'il gardait ses
prisonniers de luxe. Pour s'y rendre, il ne suffisait pas de se
stationner et de visiter. Il fallait aussi gravir 1480 marches.
À Arefu nous avions trouvé une petite épicerie pour acheter des
charcuteries et du pain, histoire d'avoir des forces pour affronter
les escaliers. Je payai le repas de Bogdan et m'en voulu de ne pas
l'avoir fait la veille. C'eut été la moindre des choses pourtant.
Il nous fallut 30 ou 40 minutes pour nous rendre à la citadelle.
Bogdan était toujours devant nous et ça nous impressionnait. Pour
un fumeur, il était très en forme.
Des mannequins empalés nous indiquèrent que nous étions au bon
endroit (Vlad Țepeș signifie Vlad l'Empaleur). La vue était
incroyable et donnait sur un canyon sinueux creusé par la rivière
Argeș. Bogdan nous raconta que Dracula dormait au dessus des
cellules pour garder ses ennemis le plus près de lui possible. Il
nous raconta aussi avoir déjà fait visiter Poenari à une touriste
qui tenait à prendre des photos de la citadelle de nuit. Il s'était
muni de lampes pour voir et de poivre de Cayenne pour les ours.
Redescendre 1480 marches est plus douloureux que de les monter. Nos
genoux avaient bien envie de nous lâcher avant la fin. Ils tinrent
bon. À quelques kilomètres de là, Bogdan nous arrêtait à une
grande centrale hydro-électrique. Il y avait une tour de construite
sur le barrage, permettant de voir au loin dans le canyon. Nous
sommes restés en bas, nous contentant de la vue moins spectaculaire.
Cette étape était de courte durée. Il fallait reprendre la route,
nous en avions encore long à faire.
Il est essentiel de parler de la conduite des Roumains. Ils peuvent
conduire au centre de la chaussée dans les courbes, dépasser sur
les lignes doubles, faire du 120 dans des zones de 60 et parler au
téléphone. Celui de Bogdan sonnait constamment et il y répondait
toujours. Pour citer le couple divorcé de București :
«quelqu'un qui apprend à conduire en Roumanie, peut conduire
n'importe où dans le monde». En autobus comme en voiture nous
n'étions pas toujours rassurés, mais nous en sommes sortis
indemnes.
L'étape suivante était une haute chute que la Transfăgărășan
croise à 1690 mètres d'altitude. La chute n'était pas très
impressionnante par son débit. La vue était le véritable attrait
de cet arrêt. Ensuite, nous n'étions plus très loin du tunnel qui
traverse vers l'autre versant des Făgărăș. C'est là, en regardant le paysage, que deux Autrichiens
s'approchèrent. Ils avaient besoin de redescendre la montagne et ils
voulaient embarquer avec nous. Nous les avons référés à Bogdan
qui nous les a renvoyés, sous prétexte que nous l'avions payé pour
la journée et qu'ainsi, la décision nous appartenait.
Ils arrivaient de quelques jours de trek dans les montagnes. Ils
parlaient un très bon anglais et s'avérèrent de joviaux
compagnons. Ils nous accompagnèrent jusqu'à une station service,
d'où ils firent du pouce pour Brașov. Ils me remirent 30 lei que
Bogdan avait refusés. Il les accepta venant de moi. De notre côté,
nous continuions notre route vers Voila pour ensuite couper vers
Sighişoara. N'ayant jamais emprunté la route que je lui demandais à
partir de Voila, Bogdan s'informa auprès d'habitants, de la
direction à prendre pour se rendre à Apold. On prit la route de
Cincșor, petit village pas très loin de là. Nous y avons fait une
halte imprévue en voyant la superbe église fortifiée.
En
préparant notre itinéraire dans le confort de ma maison, je
consultais le site de l'Unesco sur le patrimoine mondial culturel. La
Roumanie possède quelques sites et les églises fortifiées m'ont
accroché. Dans les plaines au pied des Carpates, des populations
germaniques sont venues s'installer au 13e
siècle. Pour se protéger, elles fortifiaient le point central du
village, l'église. Encore aujourd'hui, il y a des populations
d'origine allemande qui vivent dans cette partie de la Roumanie. Avec
l'ouverture des frontières qui suivit la fin du régime communiste,
ce groupe ethnique diminua fortement. Par exemple à Cincșor, il y
avait 600 Allemands en 1989 et une vingtaine en 2012. Les villes où
vivaient ces populations germaniques, étaient généralement connues sous deux
noms, un roumain, l'autre allemand : Cincșor, Kleinschenk.
Après la visite de l'église, juste en sortant de Cincșor, notre
guide demanda à un homme fauchant le foin au bord de la route, si
nous étions dans la bonne direction. C'est que les gens de l'église
fortifiée ne l'avaient pas rassuré, croyant que la route n'était
pas même praticable jusqu'à Apold, notre prochaine étape. L'homme
rassura Bogdan, ils se souhaitèrent la santé et nous reprîmes
notre route.
Un autre arrêt imprévu survint à Dealu Frumos. Ce village, dont le
nom signifie « belle colline », possède à son entrée
nord une grande enseigne indiquant le centre géographique de la
Roumanie. Bogdan freina dangereusement en voyant cela. Il nous
traduisit l'inscription et nous l'avons pris en photo, en train de
contempler sa nouvelle découverte.
Nous n'étions plus très loin d'Apold. Une fois là, nous nous
sommes rivés le nez à des portes closes. De plus, l'église
subissait une cure un peu trop zélée de rajeunissement. Crépis de
frais, un de ses deux clochers avait l'air tout neuf. Déçus de ne
pouvoir visiter cette deuxième église, nous reprenions la route
vers Sighişoara, fin de notre voyage en compagnie de Bogdan.
Ce
jour-là notre guide nous accompagna sur près de 350 kilomètres. Il
nous laissa seulement après avoir trouvé notre adresse à
Sighişoara : il n'était pas question de nous laisser chercher.
Je lui devais 240 € pour les deux longues journées et j'étais
gêné de lui donner seulement les 250 € qu'il me restait. Il
avait été tellement serviable, ouvert et sympathique. Il nous a
avoué seulement à la deuxième journée que nous étions son seul
tour de l'été. Il n'en avait pas pris d'autres, voulant mettre son
énergie à son nouveau projet de restaurant au bord de la mer Noire,
à Constanța. Nous l'avons grandement remercié de ne pas avoir
annulé et nous nous sommes séparés. Il lui restait quand même
plus d'une heure de route pour retourner à Brașov, où son petit
garçon l'attendait chez sa belle-mère.
Sighişoara
Sighişoara est une charmante petite ville médiévale. Touristique
comme Brașov, elle est quand même beaucoup plus petite. La Pension
Citadela où nous logions
se trouvait à neuf secondes de l'entrée principale de la vieille
citadelle, juste sous la Tour de l'horloge. Une fois dans l'enceinte,
la première ou deuxième maison sur la gauche est celle où est né
Dracula. Une petite plaque mentionnait ce fait historique.
Au centre de la citadelle, une petite place était le royaume d'un
gros chien errant. Il se promenait de long en large, se roulait par
terre et invitait les passants à le flatter. Peu de gens osaient.
C'est là que nous mangeâmes une pizza au jambon et qu'une très
vieille roumaine nous vendit un bouquet de fleurs sauvages pour un
leu. Elle accepta de se faire prendre en photo, nous bénit et
continua son chemin.
Nous marchâmes ensuite jusqu'à la Tour du cordonnier parce que je
voulais la prendre en photo pour mon père cordonnier, mais la
lumière n'était pas bonne. Il nous fallait revenir le lendemain.
Nous commencions à ressentir le poids de la journée – nous
revenions tout juste de notre grand tour avec Bogdan – alors nous
avons décidé de rentrer à notre chambre et de reprendre notre
exploration de la ville le lendemain.
Le programme de la journée du 19 juillet consistait simplement à
parcourir Sighişoara. Nous avons commencé par aller photographier
la Tour du cordonnier dans la lumière du matin. Ensuite nous sommes
allés vers l'église St-Nicolas, située en plein centre de la
citadelle et entourée d'un grand cimetière allemand. Sighişoara,
pour eux, est Schassburg.
Il nous restait à grimper la Tour de l'horloge pour admirer la vue
et à attendre la lumière pour prendre en photo le buste de Vlad
Țepeș. Cette attente, nous la faisions sur un banc de parc en nous
faisant des blagues sur tout et rien. Une grande blonde occupait un
autre banc, dos à nous. Nous nous félicitions de ne pouvoir être
compris. Son conjoint vint la rejoindre et quelques minutes après
son arrivée, il se retourna vers nous et nous dit : «Mais,
vous êtes canadiens!». Il était Français, elle était Tchèque et
parlait très bien le français.
Nous avons eu une longue conversation avec eux. Ils se nommaient
Cyril et Eva. Ils travaillaient pour la même boîte, lui en France,
elle en République tchèque. «Vive la France!» disait ironiquement
Eva, qui n'avait pas droit aux mêmes vacances, salaire et avantages
sociaux que son collègue français. C'était le second couple que
nous rencontrions en Roumanie et leur relation semblait aussi ambiguë
que celle de notre couple de București.
Après deux heures de conversation, nous nous quittions de bonne
humeur. C'était la fin d'une journée remplie. Nous avions aussi
trouvé la gare ce jour-là. Nous voulions nous informer s'il y avait
un endroit où laisser nos bagages pendant notre visite à Sibiu et
Răşinari.
Sibiu et Răşinari
Le 20
juillet nous avions prévu nous rendre à Sibiu et, de là, trouver
un transport quelconque pour aller à Răşinari,
pour y voir la maison où Emil Cioran est né. Cioran est un
philosophe nihiliste qui a vécu la majeure partie de sa vie en
France.
Nous avons
laissé nos bagages à la gare de Sighişoara
comme prévu et nous avons pris le train en direction de Sibiu. Nous
avons d'ailleurs failli manquer notre départ, attendant sur le
mauvais quai. Une vérification de dernière minute nous sauva et
nous n'étions pas encore assis que le train s'ébranlait.
Mentionnons qu'il était là depuis plus d'une heure. La journée
s'annonçait quand même bien, malgré ce petit pépin et la chaleur
déjà intense.
Avant notre
départ, j'avais cherché en ligne pour trouver les alternatives pour
se rendre à notre but et j'avais trouvé le trajet d'autobus et sa
fréquence vers Răşinari.
Cependant, nous commencions à prendre goût aux taxis roumains.
Aussi, en sortant de la gare, nous n'avons pas cherché l'autobus en
question, mais plutôt les petites Dacias jaunes. Nous nous penchâmes
à la fenêtre du premier de la file pour demander combien il pouvait
en coûter pour se rendre à Răşinari.
Il répondit qu'il n'en avait pas la moindre idée, mais que nous
n'avions qu'à monter, il allait mettre en marche le compteur.
Pourquoi pas?
Le chauffeur
communiquait avec quelques mots d'anglais et conduisait en parfait
Roumain. L'aller se déroula bien jusqu'au village où il ne savait
pas exactement comment trouver la Casa Emil Cioran. Il
commença donc à demander à différents habitants du village
comment se rendre. Après deux ou trois questions à des gens
pointant dans des directions opposées, il nous dit que tout le monde
était saoul dans ce village. Il
nous dit aussi que le fromage de Răşinari était un de ses
préférés. Nous n'y avons pas goûté, pour la simple raison que
les étals de produits laitiers en plein soleil ne nous inspiraient
guère.
Après
avoir tourné en rond quelques minutes, nous avons trouvé. Un petit
buste en terre cuite à l'effigie de Cioran était placé devant la
maison. La rue avait été rebaptisé Protopop Emil Cioran
(Protopop :
doyen). Nous sommes restés moins de dix minutes. Le chauffeur nous
attendait et je ne tenais qu'à voir le lieu, pas à y passer la
journée. Il y a des choses qu'on doit faire dans la vie et qui ne
s'expliquent pas. Poser les pieds dans le village natal de mon
philosophe préféré était essentiel, mais cela pouvait se faire
bien rapidement.
Nous avons
demandé à notre sympathique chauffeur roumain de nous laisser dans
la vieille ville de Sibiu. Cette heure de taxi coûtait 50 lei, j'ai
donné 70 (20$ canadien). C'était encore bien peu.
Il y avait
en ville un rallye auto et ça a un peu gâché notre image de la
capitale culturelle de l'Europe 2007. Il y faisait très chaud en
plus et ma carte de crédit n'a pas fonctionné à l'épicerie. Par
chance, nous avons croisé une très belle église orthodoxe. Elle nous a réconciliés avec Sibiu. Nous
avons continué à marcher une heure et nous sommes retournés
attendre le prochain train pour Sighişoara.
Être dans une gare est une expérience anthropologique des plus
intéressantes. Pendant notre attente, nous regardions un petit
Tsigane qui attendait avec ses parents et ses petits frères. Le père
dormait bien appuyé sur la mère, qui tenait déjà un bébé dans
ses bras. Le petit nous fascinait : il ne disait pas un mot, il
faisait comme nous et observait le monde autour de lui. Il enviait
aussi le repas d'un autre enfant juste à côté. Il y avait aussi
ces étudiants en vacances, transitant vers leur prochaine
destination. Grandes gueules laissant leur marque dans l'imaginaire
des étrangers qu'ils croisent.
Les toilettes de la gare étaient fort intéressantes. Un type
gardait l'entrée et il en coûtait un leu pour faire son besoin. On
ne nous donnait du papier – rose et rugueux – que si nous en
avions besoin. La conclusion : payer pour entrer n'est pas un
gage de propreté.
Nous avons fini par prendre place et subir la chaleur. Il faisait si
chaud qu'une dame s'est trouvée mal au moment de se lever pour
descendre à sa destination. Sa petite-fille était complètement
paniquée. Une seule personne parmi celles qui sont venues en aide à
la dame a eu le réflexe de lui offrir quelque chose à boire.
Le train se vidait graduellement au fil des arrêts et le reste du
trajet fût paisible. Arrivés à Sighişoara, nous avons récupéré
nos sacs et nous nous sommes installés pour une nouvelle étude
anthropologique.
Train de nuit
Nous devions attendre jusqu'à minuit trente-trois pour prendre le train de Sighişoara à Oradea, dernière étape roumaine de notre voyage. J'avais, préalablement à notre départ, réservé deux lits pour le trajet. Nous prîmes place sur un long banc à l'intérieur de la gare. Nous avons enfilé nos plus belles sandales, histoire d'être prêts à nous coucher si nous n'étions pas seuls dans notre chambre, puis nous avons joué quelques parties de Yahtzee. Entretemps, il y avait toute une faune humaine qui se promenait.
Il y avait
une schizophrène qui acceptait mal que quelqu'un dorme dans la gare.
Un gardien de sécurité se chargea de la soulager en invitant le
dormeur à s'en aller. Pas moyen de dormir nulle part sans se faire
harceler par les autorités.
Il y avait
aussi la pauvre dame de la billetterie que j'ai dérangée avec une
panoplie de questions sur le trajet qui nous attendait. De plus,
j'espérais pouvoir acheter mes billets Oradea-Budapest pour le
lendemain. De toute évidence, j'étais là pour gâcher sa soirée,
mais elle m'obligea quand même. Je pouvais retourner à mon
inconfortable banc pour attendre.
C'est après
toutes ces péripéties avec la commis de la billetterie que nous
avons assisté à une triste scène. Ce qui nous sembla être un
couple entra dans la salle d'attente. La jeune fille resta dans la
pièce avec nous pendant que le jeune homme entra dans le
restaurant-bar de la gare. Il en ressortit après quelques minutes
pour parler avec celle qui l'attendait. Elle n'avait pas l'air
enchantée. Il voulait qu'elle entre dans le restaurant, elle
s'obstinait. Il a fini par la prendre par le bras pour la forcer à y
entrer. Nous avons saisi : il était son pimp.
Le gardien
de sécurité n'a rien fait cette fois.
Écœurés
de notre impuissance, nous avons choisi de nous éloigner en allant
attendre le train sur le quai que la commis nous indiqua. La soirée
était confortable. Tout près de nous, un schéma expliquait, en
fonction de notre billet, où allait se trouver notre wagon dans le
convoi. Une chance, parce que lorsque notre train entra en gare, ce
n'était pas pour y rester. Nous avons eu moins de deux minutes pour
ramasser nos sacs et nous précipiter vers le dit wagon.
À la
portière nous attendait l'être humain le plus gentil et le plus
courtois qu'il nous ait été donné de rencontrer. Il savait dire
« grouille-toi! » avec tant de douceur, que c'était un
plaisir de lui obéir. Si, dans la vie de tous les jours, c'est un
trou du cul, alors il cachait bien son jeu ce soir-là. Il nous
accueillit d'une voix douce pour ne pas déranger les ronfleurs, prit
nos billets, et nous indiqua notre chambre dans laquelle nous étions
seuls. Tout se passa si vite que nous n'avons même pas eu le temps
de lui donner un petit pourboire.
Deux
minuscules lits superposés avec des draps propres, une fenêtre
entrouverte pour laisser entrer un peu d'air frais : notre
chambre était parfaite. Nous entendions le voisin ronfler
bruyamment, mais ça n'allait pas nous empêcher de dormir. La
toilette du wagon était bouchée et, évidemment, des gens s'en
étaient aperçu avant nous. Il y régnait une odeur dangereuse.
La nuit se
passa sans embûche et nous nous réveillâmes par un splendide lever
de soleil. Nous étions encore à une trentaine de minutes d'Oradea,
alors nous avons dégusté notre déjeuner : un restant de pain
tartiné de Nutella et de beurre d'arachides que nous avons toujours
avec nous en voyage. Nous avons patiemment attendu notre arrivée en
écoutant ronfler notre voisin qui, finalement, était une voisine.
Nous n'avons
pas visité Oradea. Je suis seulement sorti de la gare pour aller
nous acheter quelques pâtisseries et des bas. Le voyage avançait et
je commençais à craindre de ne pas en avoir amené suffisamment. En
face de la gare, de l'autre côté de la rue qu'on traversait par un
tunnel, j'ai trouvé un minuscule bazar où s'empilaient des
vêtements et autres babioles à utiliser autour de la maison. Tout
était à bon prix, mais je n'avais besoin que de bas.
Nous ne
sommes pas restés longtemps dans la gare. La température devenait
très agréable dehors et regarder les trains passer est toujours
divertissant. Il y avait aussi une vieille locomotive en exposition à
admirer. Une vieille dame ramassait des ordures sur les rails et elle
avait du mal à remonter sur le quai. Un bonhomme dormait sur des
sièges, juste au dessous du grand écriteau ORADEA.
Il faisait
de plus en plus beau et notre dernier train roumain arriva. Il n'y
avait pas de place attitrées. Nous roulions depuis moins de cinq
minutes quand le train s'immobilisa pour laisser monter deux agents
des douanes. Nous étions à Episcopia Bihor. Les officiers partirent
avec nos passeports, ce qui n'était pas très rassurant, mais ils
revinrent bientôt. Le train repartit pour s'arrêter aussitôt du
côté hongrois de la frontière.
Biharkeresztesi
était notre premier arrêt en Hongrie. Deux agents des douanes
montèrent pour contrôler nos passeports. Ils avaient tout le
nécessaire avec eux et ils ne partirent pas avec nos précieux
documents. À l'extérieur on s'affairait à changer la locomotive.
Notre convoi repartit. La Roumanie était bien derrière nous.
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