Ce matin je me suis levé tôt. Je devais rejoindre mon ami Neph à Montréal, pour déjeuner avec lui et sa conjointe. J’ai pris la route à 6h45 et j’avais prévu laisser mon auto à Longueuil et faire le reste du chemin en métro. Je n’avais pas envie de me frotter au chantier du nouveau pont Champlain, alors j’ai choisi de sortir à Brossard et d’emprunter la route 134, aussi connue sous le nom de boulevard Taschereau.
C’était un excellent plan dont je me félicitais, jusqu’à ce que j’arrive face à un barrage policier. Il y avait un grave accident et on nous faisait passer par les quartiers résidentiels. Par chance, le détour était très bien indiqué et je n’ai pas perdu le nord. Le boulevard allait être fermé dans cette direction pour toute la journée. Je me suis rendu à la station de métro de Longueuil avec un petit retard sur mes prévisions.
Le système de paiement du stationnement a été modernisé. Il m’a obligé à retenir mon numéro de plaque, ce qui n’est pas mauvais, mais le prix était plus élevé que dans mon souvenir. Au moins, je n’avais pas de soucis de circulation et de construction, de traversée de pont et de stationnement sur l’île.
Dans la station, j’ai acheté deux passages parce que je n’en avais pas besoin de plus. Je me suis rendu à la station Berri-UQAM, d’où j’ai repris la ligne orange jusqu’à la station Sherbrooke. En sortant sur la rue Berri, j’avais un message texte de Neph, m’indiquant qu’il s’en venait me rejoindre. Je lui ai dit que j’avais une fleur dans les cheveux, pour qu’il me reconnaisse.
Nous nous sommes évidemment rejoints à la mauvaise porte et j’ai traversé pour le rencontrer. Il m’a accueilli avec son accent de la Rive-Sud. Par exemple, quand il parle de Montréal il prononce Mort-Réal. Nous sommes passés à la Grande Bibliothèque pour y laisser quelques livres qu’il avait empruntés. J’ai été impressionné par la machine qui récupère et traite automatiquement les livres déposés dans la chute.
Nous ne sommes pas allés chez lui ensuite, parce qu’il tenait à laisser dormir sa conjointe. Nous sommes allés nous asseoir à la faculté des lettres de l’UQAM. Nous avons discuté surtout des projets d’écriture de Neph (c'est son nom de plume) et de ses perspectives prochaines d’emploi. Il quitte aussi pour le Mexique la semaine prochaine, pour aller passer le temps des fêtes avec sa belle-famille (vous aurez compris que la belle-famille est mexicaine). Je suis d’ailleurs allé au mariage en avril 2014. Je finirai par écrire ce récit. C’est promis.
Quand nous sommes partis de l’UQAM, Neph m’a donné le choix entre manger chez lui, ou au restaurant. Comme ils organisaient un party de films de Noël le soir, impliquant la préparation de bouffe, l’idée de faire un déjeuner en plus ne les emballait pas. Il a commencé par suggérer l’Anecdote, devant lequel nous passions. C’était fermé, mais il ouvrait sous peu, ce qui nous a donné l’idée d’aller chercher l’épouse qui venait de se réveiller et de revenir.
Une fois à l’appartement, la conjointe de Neph a suggéré d’aller au Wilensky’s. Son argument était que comme je ne venais pas souvent à Montréal, c’était préférable de m’amener dans un restaurant plus pittoresque. L’idée me plaisait bien, sans savoir où je m’en allais. Nous avons marché pour nous rendre, histoire d’en profiter pour nous mettre à jour dans nos histoires.
Ça faisait un sacré bout de temps qu’on ne s’était vu. Pour moi et je cite un autre de mes amis, l’amitié n’est pas conditionnelle à la fréquence des visites. Nous avons parlé des voyages que j’ai fait de juillet à décembre. Nous avons parlé de son prochain séjour au Mexique. Nous avons parlé des vieilles connaissances dont nous avons perdues la trace. Nous avons parlé d’appropriation culturelle et de débats de société. Nous avons parlé des douleurs provoqué par le vieillissement, après avoir réalisé que nous avions commencé l’université ensemble, il y a 18 ans.
À notre arrivée devant le Wilensky’s, il était presque midi. Nous n’avions pas fait le tour de tous nos sujets, mais j’avais faim. Nous sommes entrés et l’endroit était vide, si ce n’est les cinq personnes derrière le comptoir, seul endroit où nous pouvions nous asseoir pour manger. À droite de la porte se trouvaient des étagères remplies de livres et de CD à vendre pour 1$. Au dessus de l’une d’elle, un grand babillard de photos des gens qui fréquentaient l’endroit depuis longtemps. Nous y avons identifié quelques célébrités dont Lucien Francoeur et Gilbert Rozon.
Nous nous sommes assis et devant nous se trouvaient déjà des karnatzels au bœuf. Ce sont des petits saucissons secs. Le menu est accroché au mur, derrière le comptoir. Il y a plus de choix de boissons que de nourriture. De toute façon, on entre au Wilensky’s pour y manger le Special : un sandwich de salami, avec choix de fromage suisse, ou cheddar et de la moutarde. Il y a une affiche indiquant les deux principales règles concernant le plat vedette : il y a toujours de la moutarde et il est interdit de le couper pour le manger.
Au dessus du menu, il y a une autre affiche avec l’évolution du prix de ce sandwich, qui est servi depuis 1932. J’ai commandé un Special et une jeune femme nous a demandé ce que nous voulions boire. Neph, en habitué de la place, a commandé un Grape Drink. Ils ont des sirops de plusieurs saveurs et y ajoutent l’eau gazeuse ensuite. Je n’aime pas ce qui pétille et la patronne l’a compris. Elle m’a offert le même breuvage avec de l’eau plate. C’était parfait. Neph et sa conjointe ont commandé un extra cornichons et chacun un autre Special. J’ai choisi un deuxième sans fromage.
Il n’est pas nécessaire d’en commander plus d’un à la fois, puisqu’il faut moins d’une minute pour recevoir le sandwich. Il est servi sur une serviette de table, sans ustensile. La seule chose disponible sur le comptoir à part les karnatzels, ce sont des pots de moutarde au cas où il n’y en aurait pas déjà assez et des pailles.
En mangeant, nous observions la décoration qui est plutôt éclatée. Dans une vitre d’armoire, nous pouvions voir le programme d’une comédie musicale qui s’appelait The Special. La patronne nous a expliqué en franglais, qu’elle avait été présentée off Broadway et qu’elle avait été réécrite à quelques reprises. Juste à côté, il y avait un dépliant sur Mordecai Richler et son roman l’Apprentissage de Duddy Kravitz. Le film tiré du livre, mettant en vedette Richard Dreyfuss, a été tourné aux alentours du restaurant et certaines scènes à l’intérieur même du Wilensky’s.
J’ai vu ce film il y a tellement longtemps, que je n’aurais jamais pu me souvenir de ce détail. Par contre, la notoriété n’est plus à faire. Un homme est entré et a demandé le sandwich qu’on pouvait voir à la télé. Il y avait des photos de chefs célèbres, mangeant des Specials. Le beau-frère de mon ami est chef dans un hôtel chic de Londres. Quand il vient visiter sa sœur à Montréal, il insiste pour manger à trois endroits : Le Sara sur la rue St-Urbain, la Banquise sur la rue Rachel Est et le Wilensky’s. J’étais gêné de prendre des photos, mais Neph a demandé pour moi si c’était possible. J’ai pris quelques mauvaises images avant de partir, mais aucune qui ne traduit l’expérience de ce genre d’établissements folkloriques.
Après le repas que mon couple d’amis m’a offert, j’ai acheté une très belle carte postale du restaurant, dessinée dans le style Art Déco. Nous nous sommes rendus à la station de métro Laurier, où nous avons pris la ligne orange en direction de Côte-Vertu. Ils m’ont laissé à Mont-Royal, alors que je devais continuer jusqu’à Berri-UQAM, pour transférer vers la ligne jaune à destination de Longueuil. En les voyant sortir, j’étais triste d’avoir passé si peu de temps avec eux. J’ai fait ma petite moue et les portes se sont refermées.
Wilensky's
34, avenue Fairmount Ouest
Montréal, H2T 2M1
514 271-0247