Troisième de trois parties
Soirée première, et après?
Entre la remise de la fiction le 1er août et la soirée première du 1er octobre, il ne s’est plus passé grand-chose en lien avec la Course Estrie, mais nous nous sommes bien occupés. Nous avons participé à l’événement Kino Kabaret, un défi de production en 48 heures. Il n’y avait que Dominique du Val-St-François d’absent. Pour l’occasion nous avons réalisé en équipe une idée de Fannie du Haut-St-François, chez Marc de Memphrémagog. L’histoire était celle d’une dirigeante révolutionnaire, qui se fait transplanter le cerveau. Nous avons aussi fait un film éclair à propos d’un gars qui drague avec les pires approches. Finalement William de Coaticook et moi avons aidé Pascal de la Course 2008 à faire une comédie scatologique. Ce fût une grosse fin de semaine.
Avec Mathieu du Granit, Olivier de Sherbrooke et William de Coaticook, nous avons mis sur pied un projet de coopérative de production vidéo. Notre objectif était de montrer notre motivation et notre entreprenariat, dès le soir de la première. À chaque personne qui entrera au Théâtre Granada, nous remettrons la carte d’affaire de la Coop Studio 35. C’est Olivier de Sherbrooke qui avait fait la conception graphique de la carte. Elle ressemblait à une petite cassette vidéo.
La directrice de la Course Estrie jubilait. C’était pour elle une excellente publicité. Cela montrait combien son projet était fonctionnel, accouchant de professionnel(le)s du cinéma. La salle était pleine de gens venus voir le résultat de notre professionnalisme. Pour l’occasion j’avais mis un costume semblable aux photos de mon documentaire : casquette, gilet sans manche (waistcoat), chemise blanche. Ma casquette me faisait mal et m’a laissé une marque sur le front plusieurs heures après l’événement, mais j’avais la classe.
La carte était déjà à l'impression quand William de Coaticook s'est joint à nous. |
Tout le monde était classe en fait et nous paraissions bien devant le public. Chacun notre tour, nous devions monter sur scène et parler de nos films. C’est une chose que j’ai bien apprécié de cette soirée : nous parlions à la foule après avoir projeté nos films. Tout ce que nous pouvions faire était d’expliquer ce que nous avions tenté de faire, mais nous n’avions plus aucun pouvoir sur la première impression.
Nous devions remonter sur scène si nous recevions un prix. Il y en avait cinq différents pour sept réalisateurs. La distribution se faisait en fin de soirée. Annie m’avait fait promettre, avant de quitter la maison pour aller au Théâtre Granada, de ne pas être déçu si je repartais les mains vides. C’était facile de promettre, puisque j’étais certain de gagner. Statistiquement parlant, j’avais la cote, mais ce qui devait arriver arriva et j’ai joint le club des participants sans prix. Nous étions trois, parce que Mathieu du Granit avait raflé deux récompenses tout à fait méritées.
J’ai accepté la défaite – je n’avais pas le choix – et nous sommes rentrés à la maison après avoir remercié tous mes proches pour leur support indéfectible. C’est seulement le lendemain que j’ai frappé le mur. J’étais déçu, vraiment déçu. Cette déception s’ajoutait au fait que tout était fini. Je savais que j’allais encore faire des films, mais la Course était finie après m’avoir occupé de corps et d’esprit pendant plus de six mois. Parce que le 1er avril, n’était pas la première journée que je passais à travailler sur l’autoportrait. Annie confirmera que depuis des semaines, j’étais insupportable dans mon processus de recherche d’idée. Elle a été d’une patience incroyable. Elle s’est prêtée au jeu sans poser de question.
Même si je pouvais toujours compter sur l’aide d’Annie, je me retrouvais seul dans mes démarches. Nous avons fermé tout ce qui était en lien avec Coop Studio 35 environ un an après en avoir parlé pour la première fois. J’ai fait quelques courts métrages comme Allée 27b, ou Frédérique et Goran, qui est une suite de … mais revenir et un chapitre du long métrage collaboratif Congé sans solde. J’ai aussi fait quelques contrats de production vidéo. Le plus gros a été avec l’archidiocèse de Sherbrooke, qui voulait un DVD de quelques entrevues pour accompagner son livre d’histoire Une Église entre lacs et montagnes.
Je me suis éventuellement inscrit à la maîtrise en histoire, dans le but de faire un documentaire sur la Basse-Côte-Nord. C’est ainsi qu’en 2011 nous sommes déménagés à Port-Cartier, pour nous rapprocher de mon objet d’étude. J’ai graduellement perdu l’intérêt de la réalisation. Peut-être un peu par paresse, le coefficient plaisir/effort était très mauvais, mais aussi parce que la production corporative ne me plaisait pas du tout et que je n’avais pas les moyens financiers, ni l’envie de suivre les nouvelles tendances : effets spéciaux, 3D, 4K, 360, drones.
Quand je repense à mes années de «réalisateur», j’ai toujours un sourire en coin. Je me compare à toutes les petites filles qui rêvent de participer à l’émission La Voix, parce que les matantes les trouvent bonnes quand elles chantent Petit Papa Noël dans le Temps des Fêtes. Je crois que des types de la trempe d’Anh Minh Truong me prenaient pour un arriviste. J’essayais de percer dans leur monde avec un bacc en histoire et aucune expérience.
Avec le recul, je peux dire que ma participation à la Course Estrie m’a servi à deux choses : avoir confiance en mes projets quels qu’ils soient et comprendre que je n’étais pas à ma place dans ce milieu. Je reste très satisfait de ce que j’ai fait. Lors d’une entrevue d’emploi à Port-Cartier en 2012, la dame m’a demandé de quoi j’étais le plus fier et les premières choses qui me sont venues en tête sont mes courts métrages réalisés dans le cadre de cet événement.
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Suite à l’écriture de mon récit de la Course Estrie 2009, j’ai cru bon de le faire lire à quelqu’un d’intéressé : William de Coaticook. Je me disais qu’il apprécierait ce retour forcé dans le temps, mais j’espérais surtout quelques critiques constructives de sa part, sur la forme et le contenu. Ce qui a résulté de sa lecture a dépassé mes attentes, en se transformant en un échange fort enrichissant.
Il a d’abord mentionné que mon texte avait une approche très factuelle. Il a tout de suite relié cette forme d’écriture à mon habitude «Mononcle Denis» – la belle-famille comprendra – qui est de compiler un maximum d’information, en prenant des notes très détaillées sur tout ce qui m’intéresse. J’aime pouvoir tout situer dans le temps. Ça n’a rien à voir avec mes études en histoire, c’est seulement un de ces T.O.C. dont tout le monde parle.
Grâce à ce trouble avec lequel je vis très bien, j’ai conservé une foule de documents, échéanciers, articles et photos, qui m’ont permis d’étoffer mes souvenirs de la Course. Le résultat est le récit d’une expérience que j’ai vécue, mais dont le souci du détail a évincé une grande part de l’émotion réelle.
La réalité émotionnelle était à ce point déformée que dans ma conclusion, William a décelé de l’amertume. J’ai choisi de retirer cette section, puisque ce n’était pas le message que je voulais faire passer. Je ne me suis pas toujours bien entendu avec la directrice de l’événement, lire jamais, mais de dire que je suis amer vis-à-vis d’elle, ou de son événement est erroné. J’en garde d’excellents souvenirs et le plaisir que j’ai eu à dépouiller mes vieux documents, à regarder les photos et à écrire ces lignes en est une excellente preuve.
J’ai vécu essentiellement de bons moments en lien avec ma course. J’y ai lié des amitiés qui durent encore, 10 ans plus tard. Pourtant, je ne saurais dire exactement comment je me sens. Il y a une phrase de William que j’ai bien aimée et qui me semble fort appropriée : «on sent qu'après trois essais d'application, la finale est pas si satisfaisante.»