Virée à Toronto

Avant d’être en congé sabbatique pour nos voyages en 2018, j’ai magasiné un ordinateur portable. J’ai changé d’idée au moins 20 fois. Je trouvais les remis à neuf intéressants pour le coefficient performance/prix. Je trouvais les Chromebook intéressants pour le prix. Je trouvais les neufs intéressants pour les performances et la garantie. Après des mois de tergiversation, j’ai enfin arrêté mon choix sur un tout nouveau Dell, un peu trop gros pour l’aventure, mais avec toutes les spécificités que je désirais. Je prouvais une fois de plus que mes prises de décisions sont laborieuses et justifiées par un million d’éléments réfléchis, même si pas nécessairement logiques.


Je me suis pourtant longtemps décrit comme quelqu’un d’impulsif. Avec le temps, j’ai acquis la certitude que ce n’était en fait qu’une façade pour masquer mon incapacité crasse à planifier quoi que ce soit. C’est clairement ce qui m’empêchait de voyager. Quand me venait l’envie de partir, c’était toujours la veille d’un long congé, ou de mes courtes vacances. Je n’avais plus le choix de privilégier les projets simples comme l’auto-stop, l’autobus, ou le camping. Cette situation de dernière minute, combinée avec des moyens financiers réduits par le manque de préparation, offraient un nombre limité de possibilités. Les grandes villes à proximité, ou les régions de l’Est-du-Québec ressortaient souvent comme options. Le samedi soir, 17 mai 2008, je me suis retrouvé dans une telle position.

Il est 19h15, je sors de la douche. Je m’assois devant mon ordinateur. C’est le long week-end de la fête des Patriotes et je n’ai évidemment rien prévu. J’ai envie de bouger. J’étudie rapidement les possibilités. Rester à Sherbrooke? Je pourrais sortir dans un bar avec mon ami Raphaël. Magog? Je pourrais m’inviter chez ma soeur. Montréal? Un spectacle et une longue marche seraient bien. Les États-Unis? J’aime bien visiter mes tantes et mes oncles au Vermont. Puis j’ai pensé à mon ami Neph, qui allait souvent à Toronto pour des spectacles de lutte. Je ne suis jamais allé à Toronto. Je suis tenté. Maintenant, est-ce physiquement possible?

Extrait de vidéo = mauvaise qualité

J’ai une vieille Saturn dorée, mais son utilisation me confronte à quelques problèmes. Elle prend l’huile. J’ai tendance à m’endormir au volant. Qu’en ferais-je une fois là-bas? Comme Neph, je préfère l’autobus. Sur Internet je regarde les horaires à partir de Montréal et trouve un trajet de minuit à six heures du matin. C’est parfait, mais tout dépend du départ de Sherbrooke vers Montréal. Je téléphone : 20h. Il me reste une trentaine de minutes pour fourrer quelques trucs dans un sac, attraper mon encombrante caméra GL2 et courir au terminus du centre-ville.

Le projet se planifie facilement. Je vais dormir dans le bus à l’aller, passer la journée de dimanche à Toronto et reprendre le bus de minuit vers Montréal, pour dormir sur la route du retour. Pas d’hébergement à payer, que du transport sans inquiétude.


Je suis euphorique. Je vais découvrir une ville que je n’ai jamais vue. Le premier bus n’est pas plein et nous arrivons à l’heure à Montréal. Je prends mon billet aller-retour pour Toronto et je trouve un banc, non loin de la porte où j’embarquerai. Je suis plus de deux heures d’avance et je vois bien vite qu’une file d’attente est déjà en formation. Ça sent mauvais. Est-ce que par hasard il y aurait de la survente de billets? Neph m’a déjà raconté qu’il a fait une bonne partie du trajet Montréal-Halifax debout. Pas question que ça m’arrive. Je fais la route de nuit pour dormir.

Je me plante dans la file grandissante et ce n’est pas plus mal, puisque je m’en vais passer quelques heures assis. Une fois embarqué, je me trouve une place le long de l’allée. Un peu moche pour le sommeil. Je suis trop timide pour appuyer ma tête sur l’épaule du grand africain à ma gauche. Je dormirai finalement très peu et très mal. Le seul arrêt dont je me souviens était à Kingston, environ à mi-chemin, pour changer de chauffeur.

Extrait de vidéo = mauvaise qualité

Arrivé à destination, il est très tôt. L’autobus était un peu en avance sur son horaire. Les rues sont à moi à cette heure et en ce week-end de la Fête de la Reine – je ne suis plus au Québec, ce n’est plus la même fête. Ma première mission sera de m’acheter un petit atlas de poche pour me repérer. Pas trop difficile, puisque tous les dépanneurs en tiennent un bon inventaire. Commence une très longue marche dans l’inconnu.

Je descends vers le Toronto Harbor, mais je n’irai pas visiter les îles. J’attendrai là que la Tour du CN ouvre. Je trouverai le Chinatown et mes petits pains sucrés préférés. La fatigue et la pluie finiront par me décider à prendre une pause. Je me suis payé un cinéma. Je choisis Son of Rambow, que j’ai dormi à plus de 50%. Mon seul commentaire est qu’il était trop court pour bien me reposer. Au moins la pluie a eu le temps de s’arrêter.


Ce sont mes ampoules aux talons qui mettront fin à ma journée de trek urbain. Je me dirige lentement et douloureusement vers le terminus d’autobus. Il est trop tôt. Je vais un peu plus loin et je tombe sur Dundas Square à la pénombre. Ce Times Square version Toronto fini de me convaincre que j’ai perdu trop de temps à déambuler au hasard des rues, me faisant manquer des sites intéressants.

Au terminus, le même manège de file d’attente précoce est en place. Comme Son of Rambow ne m’a pas remis de ma fatigue, je ne veux toujours pas passer le trajet debout. Devant moi, il y a un type de Sherbrooke que je reconnais de vue. Nous nous rendons au même endroit. J’ai le choix de place en embarquant. Je me mets côté fenêtre et laisse l’autobus se remplir.

Je ne sais pas si c’est à cause de l’odeur, ma douche remonte à plus de 24 heures et j’ai beaucoup marché, mais il n’y avait qu’une personne assise seule et c’était moi. Une fois à Montréal je vais tout de suite m’informer pour les départs vers Sherbrooke et comme c’est fête, il y en a moins. Je dois attendre plus longtemps que prévu. Je vais déjeuner dans une boulangerie où je discute un peu avec le serveur, puisque nous sommes seuls. Je rentre enfin à la maison, plutôt satisfait de ma virée à Toronto, mais convaincu que je dois remettre ça avec un minimum de planification.



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