Ma mère, avec qui je vivais à Compton, m’a envoyé vivre à Magog chez mon père dès ma première année à l’école secondaire. Elle disait qu’un fils a besoin d’une figure paternelle. Je pense sans rancune, qu’elle voulait simplement récupérer son espace et sa liberté. À Magog j’apportais avec moi quelques habitudes qu’elle m’avait inculquées et l’une d’elle était de m’impliquer dans toutes sortes de projets.
Cette pratique étrange qui n’est pas compatible avec ma paresse naturelle mourra tranquillement au fil des années, mais au départ, combinée avec mon désir ardent de pouvoir converser en anglais, elle m’entraînera dans un échange bilingue avec des élèves de l’Ontario. Le programme s’appelait SEVEC – Society for Educational Visits and Exchanges in Canada – et j’ai dû faire une recherche pour me souvenir de la signification de cet acronyme. J’ai trouvé assez peu de choses sur le sujet et c’est en me basant sur mes souvenirs, quelques notes, de rares photographies et une récente conversation éclaire avec un des enseignants responsables, que je ferai ce récit.
Celui-ci commence quelque part pendant l’année scolaire 1990-1991. On nous proposa de nous joindre à un échange avec des élèves de Sarnia en Ontario, pour qu’eux apprennent le français et nous l’anglais. Le concept : chaque francophone est jumelé avec un anglophone, pendant deux semaines ils viennent à Magog, hébergés dans nos familles et ensuite, nous nous rendons à Sarnia et sommes hébergés dans leurs familles.
Comme tout projet parascolaire, le processus comprenait une campagne de financement. Je me souviens d’un lave-auto pendant lequel ma sœur est venue faire laver trois voitures. Je me souviens aussi que nous devions solliciter des gens pour de l’argent, avec pour argument que nous allions faire du bénévolat à l’école. Nous avons passé une journée à réparer des livres de mathématique et de géographie.
Il y avait sans doute autre chose, mais je ne m’en souviens plus du tout. Mes parents ont probablement déboursé le reste de l’argent et après la fin d’année scolaire, le 2 juillet 1991, nos jumeaux ontariens arrivèrent à Magog. Mon nouvel ami s’appelait Shane. J’apprendrai qu’il n’avait que peu d’intérêt à faire cet échange et qu’il sera convaincu in extremis par les organisateurs de là-bas, afin d’égaler le nombre d’inscriptions en provenance de Magog. Il n’était pas méchant, nous étions seulement très mal assortis et nous n’allions pas très bien nous entendre.
Il y avait de ma faute dans tout ça. J’avais 13 ans, je n’étais pas bien tolérant avec les autres et je ne voulais que rigoler avec mes amis. À cet âge, sortant tout juste de notre première année du secondaire, mes potes et moi étions les plus jeunes du groupe. Un an de différence peut paraître énorme à l’adolescence, encore plus lorsqu’on compare des garçons et des filles. Suite à une blague idiote, j’allais déclencher chez une autre participante une longue tirade dans laquelle elle déclarait toute sa haine et son dégoût pour ma personne. Bien qu’anodine, son intervention me marquera. Deux ans plus tard, avec un chouïa plus de maturité de mon côté, nous étions en meilleurs termes elle et moi. Je lui reparlerai de l’événement et elle ne semblera pas s’en souvenir : trou de mémoire, délicatesse ou gêne, qui sait?
Le meilleur des souvenirs
Je n’ai plus aucun contact avec elle, ni mes amis de l’époque et ma rencontre avec un des organisateurs reposent uniquement sur le fait qu’il utilise les services de la cordonnerie. Les bons souvenirs que je garde de cette expérience ne sont pas en lien avec les relations humaines et honnêtement, la grande majorité des activités que nous ferons ici au Québec et là-bas en Ontario s’effaceront de ma mémoire. Il y a de cela quelques années, en faisant du ménage dans de vieilles boîtes fermées depuis longtemps, je tombai sur le carnet officiel de notre échange. J’eus la confirmation que je me rappelais de bien peu de choses en consultant le calendrier du mois de juillet 1991, avec le détail de tous ce que nous devions faire.
Si la Ronde, Canada’s Wonderland et le vol de Sherbrooke à Sarnia m’ont laissé quelques images, la rencontre du maire de Sarnia, les Crazy Olympics, la journée dans le Vieux-Montréal ou la soirée de spectacles amateurs sont de grands disparus de ma mémoire. Quand j’y repense, ce qui m’a le plus impressionné dans tout ça n’était pas à l’horaire et ça a bien faillit ne pas arriver.
C’était un soir vers la fin de mon séjour à Sarnia. Comme Shane et moi n’avions plus grand-chose à nous dire, je me retirai pour lire un des Astérix que j’avais dans mon sac de voyage. Assez tard dans la soirée il vint me voir et me dit que nous sortions pour aller en bateau sur la rivière St-Clair. Nous avions déjà fait une croisière sur le Duc d’Orléans et bien installé comme je l’étais, ma volonté de sortir était au plus bas. Je lui répondis que je n’étais pas intéressé. Il me demanda de venir prendre le combiné du téléphone. Ce que je fis.
Au bout du fil était un de ses oncles qui me dit simplement de m’habiller chaudement. Il n’était pas question pour lui d’essuyer un refus. À court d’excuse, je me préparai et quittai la maison avec Shane. Arrivé chez l’oncle, je n’étais plus bien sûr de ce que je faisais. Ce n’était pas un bateau, mais une petite chaloupe équipée d’un de ces moteurs portatifs qu’on contrôle à l’aide d’un manche. J’espère que j’ai eu le tact de fermer ma grande gueule sur la modestie de son embarcation.
Si j’ai fait des commentaires, cela n’a rien changé puisque nous nous sommes retrouvés en pleine nuit, dans le frêle esquif à sillonner la rivière St-Clair. J’admirais les lumières de la ville et du petit port, la température était parfaite et je me suis découvert une attirance inexplicable pour les bateaux en général lorsque nous avons frôlé des lakers à quai, ces bateaux qui font le transport des ressources sur la voie maritime du St-Laurent (et que j’aurais dû appeler vraquiers des Grands Lacs, mais c’est vraiment trop laid). Je ressentais la peur, née de la grosseur de notre coquille de noix zigzaguant tout près de ces géants, mais j’étais beaucoup trop impressionné pour en tenir compte.
Je ne sais plus combien de temps nous sommes restés à voguer comme ça. J’espère seulement que j’ai suffisamment remercié l’oncle de Shane parce que je venais de vivre un moment qu’aucun autre participant venu de Magog ne pourrait raconter à son retour. J’étais privilégié. Il m’a offert l’expérience la plus romantique de mon voyage. Je ne parle pas d’amour, mais d’exaltation et de rêverie – merci Petit Robert. Il n’y avait pas de doute, cette expérience éclipsait toutes les autres du mois de juillet 1991 et moi le con, je n’avais pas apporté mon appareil photo.
Cette pratique étrange qui n’est pas compatible avec ma paresse naturelle mourra tranquillement au fil des années, mais au départ, combinée avec mon désir ardent de pouvoir converser en anglais, elle m’entraînera dans un échange bilingue avec des élèves de l’Ontario. Le programme s’appelait SEVEC – Society for Educational Visits and Exchanges in Canada – et j’ai dû faire une recherche pour me souvenir de la signification de cet acronyme. J’ai trouvé assez peu de choses sur le sujet et c’est en me basant sur mes souvenirs, quelques notes, de rares photographies et une récente conversation éclaire avec un des enseignants responsables, que je ferai ce récit.
Celui-ci commence quelque part pendant l’année scolaire 1990-1991. On nous proposa de nous joindre à un échange avec des élèves de Sarnia en Ontario, pour qu’eux apprennent le français et nous l’anglais. Le concept : chaque francophone est jumelé avec un anglophone, pendant deux semaines ils viennent à Magog, hébergés dans nos familles et ensuite, nous nous rendons à Sarnia et sommes hébergés dans leurs familles.
La résidence familiale de mon «jumeau» |
Comme tout projet parascolaire, le processus comprenait une campagne de financement. Je me souviens d’un lave-auto pendant lequel ma sœur est venue faire laver trois voitures. Je me souviens aussi que nous devions solliciter des gens pour de l’argent, avec pour argument que nous allions faire du bénévolat à l’école. Nous avons passé une journée à réparer des livres de mathématique et de géographie.
Il y avait sans doute autre chose, mais je ne m’en souviens plus du tout. Mes parents ont probablement déboursé le reste de l’argent et après la fin d’année scolaire, le 2 juillet 1991, nos jumeaux ontariens arrivèrent à Magog. Mon nouvel ami s’appelait Shane. J’apprendrai qu’il n’avait que peu d’intérêt à faire cet échange et qu’il sera convaincu in extremis par les organisateurs de là-bas, afin d’égaler le nombre d’inscriptions en provenance de Magog. Il n’était pas méchant, nous étions seulement très mal assortis et nous n’allions pas très bien nous entendre.
Il y avait de ma faute dans tout ça. J’avais 13 ans, je n’étais pas bien tolérant avec les autres et je ne voulais que rigoler avec mes amis. À cet âge, sortant tout juste de notre première année du secondaire, mes potes et moi étions les plus jeunes du groupe. Un an de différence peut paraître énorme à l’adolescence, encore plus lorsqu’on compare des garçons et des filles. Suite à une blague idiote, j’allais déclencher chez une autre participante une longue tirade dans laquelle elle déclarait toute sa haine et son dégoût pour ma personne. Bien qu’anodine, son intervention me marquera. Deux ans plus tard, avec un chouïa plus de maturité de mon côté, nous étions en meilleurs termes elle et moi. Je lui reparlerai de l’événement et elle ne semblera pas s’en souvenir : trou de mémoire, délicatesse ou gêne, qui sait?
Le meilleur des souvenirs
Je n’ai plus aucun contact avec elle, ni mes amis de l’époque et ma rencontre avec un des organisateurs reposent uniquement sur le fait qu’il utilise les services de la cordonnerie. Les bons souvenirs que je garde de cette expérience ne sont pas en lien avec les relations humaines et honnêtement, la grande majorité des activités que nous ferons ici au Québec et là-bas en Ontario s’effaceront de ma mémoire. Il y a de cela quelques années, en faisant du ménage dans de vieilles boîtes fermées depuis longtemps, je tombai sur le carnet officiel de notre échange. J’eus la confirmation que je me rappelais de bien peu de choses en consultant le calendrier du mois de juillet 1991, avec le détail de tous ce que nous devions faire.
Si la Ronde, Canada’s Wonderland et le vol de Sherbrooke à Sarnia m’ont laissé quelques images, la rencontre du maire de Sarnia, les Crazy Olympics, la journée dans le Vieux-Montréal ou la soirée de spectacles amateurs sont de grands disparus de ma mémoire. Quand j’y repense, ce qui m’a le plus impressionné dans tout ça n’était pas à l’horaire et ça a bien faillit ne pas arriver.
Vol au départ de Sherbrooke |
C’était un soir vers la fin de mon séjour à Sarnia. Comme Shane et moi n’avions plus grand-chose à nous dire, je me retirai pour lire un des Astérix que j’avais dans mon sac de voyage. Assez tard dans la soirée il vint me voir et me dit que nous sortions pour aller en bateau sur la rivière St-Clair. Nous avions déjà fait une croisière sur le Duc d’Orléans et bien installé comme je l’étais, ma volonté de sortir était au plus bas. Je lui répondis que je n’étais pas intéressé. Il me demanda de venir prendre le combiné du téléphone. Ce que je fis.
Au bout du fil était un de ses oncles qui me dit simplement de m’habiller chaudement. Il n’était pas question pour lui d’essuyer un refus. À court d’excuse, je me préparai et quittai la maison avec Shane. Arrivé chez l’oncle, je n’étais plus bien sûr de ce que je faisais. Ce n’était pas un bateau, mais une petite chaloupe équipée d’un de ces moteurs portatifs qu’on contrôle à l’aide d’un manche. J’espère que j’ai eu le tact de fermer ma grande gueule sur la modestie de son embarcation.
Si j’ai fait des commentaires, cela n’a rien changé puisque nous nous sommes retrouvés en pleine nuit, dans le frêle esquif à sillonner la rivière St-Clair. J’admirais les lumières de la ville et du petit port, la température était parfaite et je me suis découvert une attirance inexplicable pour les bateaux en général lorsque nous avons frôlé des lakers à quai, ces bateaux qui font le transport des ressources sur la voie maritime du St-Laurent (et que j’aurais dû appeler vraquiers des Grands Lacs, mais c’est vraiment trop laid). Je ressentais la peur, née de la grosseur de notre coquille de noix zigzaguant tout près de ces géants, mais j’étais beaucoup trop impressionné pour en tenir compte.
Je ne sais plus combien de temps nous sommes restés à voguer comme ça. J’espère seulement que j’ai suffisamment remercié l’oncle de Shane parce que je venais de vivre un moment qu’aucun autre participant venu de Magog ne pourrait raconter à son retour. J’étais privilégié. Il m’a offert l’expérience la plus romantique de mon voyage. Je ne parle pas d’amour, mais d’exaltation et de rêverie – merci Petit Robert. Il n’y avait pas de doute, cette expérience éclipsait toutes les autres du mois de juillet 1991 et moi le con, je n’avais pas apporté mon appareil photo.
À gauche le port de Sarnia À droite le quartier résidentiel où Shane habitait |
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