J’avais décidé de ne pas publier ce texte, croyant qu’il était plutôt inintéressant pour mon lectorat en général. Puis est arrivé le 7 septembre 2021, marquant le dixième anniversaire de ma première journée à l’emploi d’un certain marché d’alimentation. Je me suis dit Gascon, fait ce que doit.
- - -
On me convoqua à l’étage dans les bureaux de l’administration. Nous étions à la mi-février 2020 et il me restait peu de temps à faire, à peine quelques semaines. Ma démission donnée depuis plus d’un mois, j’avais un méchant pressentiment sur ce qui m’attendait en haut des marches que j’escaladais. Là se trouvaient le directeur-adjoint et le président du conseil d’administration de la coopérative chargée de la gestion du marché d’alimentation.
J’avais raison, ils me demandaient de repousser mon départ. Malgré le fait qu’il était écrit dans le ciel que cette requête arriverait, je n’étais pas préparé à y répondre. Je leur parlai franc : «je sais dans quelle situation je vous laisse pour l’avoir vécue moi-même». Les deux hommes devant qui je prenais place était professionnellement désespérés et je les comprenais. Oui parce que je ne mentais pas, je savais et c’est pourquoi il m’était impossible d’accepter.
Cela durait depuis le premier lundi de septembre 2019. La fin de semaine suivante je devais partir en moto jusqu’à Kegaska, en dormant quelque part en chemin. Je préparais déjà mon sac quand on cogna à ma porte. C’était le directeur-adjoint. Il venait me dire qu’il quittait Port-Cartier pour une durée indéterminée. Il avait en main un billet du médecin et il me demandait de faire des visites hebdomadaires à sa maison pour trier le courrier, arroser les plantes et assurer une présence. Je savais que ça s’en venait, il m’avait averti depuis longtemps qu’il était épuisé, mais encore une fois, à ce genre de chose on ne se prépare pas.
Pris tout seul, son départ n’aurait que peu influencé ma vie personnelle et professionnelle, si ce n’est qu’il était mon meilleur collègue. J’aurais même pu aller à Kegaska comme prévu sans trop de soucis. C’était sans compter que le jour même où il vint m’annoncer son départ, mon assistante-gérante m’informa qu’elle ne ferait pas sa semaine comme prévu, puisque sa fille avait des problèmes suite à une importante opération. Tout allait bien se terminer, mais pour l’instant ça n’allait pas pour la petite.
Je devais biffer ma fin de semaine de moto de mon horaire. Un certain équilibre allait s’installer quand même pour les semaines à suivre. Mon assistante-gérante reviendra en forme après que la santé de sa fille fut rétablie et malgré l’absence du directeur-adjoint, la directrice assurait les grandes responsabilités du magasin. J’avais grosso modo l’esprit tranquille.
J’étais aveugle ou je niais l’évidence. Depuis des mois déjà il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. En octobre ce fut le tour de la directrice de flancher sous la pression et peu après c’était le gérant du département des viandes et poissons. Le magasin se retrouvait maintenant sans directrice, ni gérant de la boucherie et comme le directeur-adjoint combinait son poste avec la gestion du grand département d’épicerie, l’équipe des cadres était réduite à sa plus simple expression.
Je paniquais un peu devant cette accumulation de malheurs, mais la gérante du département de la boulangerie ne voyait pas les événements du même œil que moi. Pour elle c’était enfin l’occasion de montrer ce qu’elle savait faire en prenant la chaise de directrice. De mon côté j’étais prêt à lui donner sa chance et à l’appuyer du mieux que je pouvais. Nous allions établir une forme de co-direction.
Ce fut un fiasco. Détestée par la majorité des employé(e)s, la gérante de la boulangerie aura du mal à asseoir son autorité nouvelle. Tout le monde s’adressera à moi pour éviter de lui parler à elle. L’assistante-gérante du grand département d’épicerie menacera constamment et pour des raisons aussi variées qu’insignifiantes, de rendre ses clés. L’assistante-gérante de la boucherie accumulera les crises parce que d’assurer l’intérim du gérant n’était clairement pas sa tasse de thé. Les embauches et les démissions des employé(e)s se succédaient à un rythme invraisemblable.
Au retour du congé des Fêtes ma décision était prise, je donnai ma démission effective à la fin du mois de février. De cette façon je pourrais commencer à préparer notre déménagement et peut-être même faire quelques aller-retour entre Port-Cartier et Magog pour commencer les rénovations de notre appartement à Magog. Cela donnait aussi une marge de manœuvre au magasin et c’était un délai raisonnable pour le salut de ma santé mentale.
Comme la santé du directeur-adjoint allait en s’améliorant, il revint au début du mois de février et repris graduellement l’ensemble de ses responsabilités et plus, ce qui me libérait d’une grande part des miennes. Il forcera la gérante de la boulangerie à retourner à ses baguettes et à ses miches, ce qui plaira à tous sauf elle. C’est à ce moment qu’il me convoquera pour me demander de retarder mon départ. La directrice ne reviendra plus à son poste et fera durer son congé le plus longtemps possible avant de quitter définitivement la région. En ce qui me concerne je terminerai comme prévu à la fin de février 2020.
Je ne veux pas paraître amer en écrivant tout ceci, mais je crois juste de dire que la période précédant mon départ a assombri le dernier acte de mon passage dans ce marché d’alimentation. Quand j’y repense j’ai des frissons, mais je n’y serais pas resté plus de huit ans, c’est-à-dire mon plus long lien d’emploi à vie, si je n’y avais eu de bons moments, si je n’y avais fait aucun apprentissage et si je n’y avais reçu aucune reconnaissance.
J’avais raison, ils me demandaient de repousser mon départ. Malgré le fait qu’il était écrit dans le ciel que cette requête arriverait, je n’étais pas préparé à y répondre. Je leur parlai franc : «je sais dans quelle situation je vous laisse pour l’avoir vécue moi-même». Les deux hommes devant qui je prenais place était professionnellement désespérés et je les comprenais. Oui parce que je ne mentais pas, je savais et c’est pourquoi il m’était impossible d’accepter.
Cela durait depuis le premier lundi de septembre 2019. La fin de semaine suivante je devais partir en moto jusqu’à Kegaska, en dormant quelque part en chemin. Je préparais déjà mon sac quand on cogna à ma porte. C’était le directeur-adjoint. Il venait me dire qu’il quittait Port-Cartier pour une durée indéterminée. Il avait en main un billet du médecin et il me demandait de faire des visites hebdomadaires à sa maison pour trier le courrier, arroser les plantes et assurer une présence. Je savais que ça s’en venait, il m’avait averti depuis longtemps qu’il était épuisé, mais encore une fois, à ce genre de chose on ne se prépare pas.
Pris tout seul, son départ n’aurait que peu influencé ma vie personnelle et professionnelle, si ce n’est qu’il était mon meilleur collègue. J’aurais même pu aller à Kegaska comme prévu sans trop de soucis. C’était sans compter que le jour même où il vint m’annoncer son départ, mon assistante-gérante m’informa qu’elle ne ferait pas sa semaine comme prévu, puisque sa fille avait des problèmes suite à une importante opération. Tout allait bien se terminer, mais pour l’instant ça n’allait pas pour la petite.
Je devais biffer ma fin de semaine de moto de mon horaire. Un certain équilibre allait s’installer quand même pour les semaines à suivre. Mon assistante-gérante reviendra en forme après que la santé de sa fille fut rétablie et malgré l’absence du directeur-adjoint, la directrice assurait les grandes responsabilités du magasin. J’avais grosso modo l’esprit tranquille.
J’étais aveugle ou je niais l’évidence. Depuis des mois déjà il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. En octobre ce fut le tour de la directrice de flancher sous la pression et peu après c’était le gérant du département des viandes et poissons. Le magasin se retrouvait maintenant sans directrice, ni gérant de la boucherie et comme le directeur-adjoint combinait son poste avec la gestion du grand département d’épicerie, l’équipe des cadres était réduite à sa plus simple expression.
Je paniquais un peu devant cette accumulation de malheurs, mais la gérante du département de la boulangerie ne voyait pas les événements du même œil que moi. Pour elle c’était enfin l’occasion de montrer ce qu’elle savait faire en prenant la chaise de directrice. De mon côté j’étais prêt à lui donner sa chance et à l’appuyer du mieux que je pouvais. Nous allions établir une forme de co-direction.
Ce fut un fiasco. Détestée par la majorité des employé(e)s, la gérante de la boulangerie aura du mal à asseoir son autorité nouvelle. Tout le monde s’adressera à moi pour éviter de lui parler à elle. L’assistante-gérante du grand département d’épicerie menacera constamment et pour des raisons aussi variées qu’insignifiantes, de rendre ses clés. L’assistante-gérante de la boucherie accumulera les crises parce que d’assurer l’intérim du gérant n’était clairement pas sa tasse de thé. Les embauches et les démissions des employé(e)s se succédaient à un rythme invraisemblable.
Au retour du congé des Fêtes ma décision était prise, je donnai ma démission effective à la fin du mois de février. De cette façon je pourrais commencer à préparer notre déménagement et peut-être même faire quelques aller-retour entre Port-Cartier et Magog pour commencer les rénovations de notre appartement à Magog. Cela donnait aussi une marge de manœuvre au magasin et c’était un délai raisonnable pour le salut de ma santé mentale.
Comme la santé du directeur-adjoint allait en s’améliorant, il revint au début du mois de février et repris graduellement l’ensemble de ses responsabilités et plus, ce qui me libérait d’une grande part des miennes. Il forcera la gérante de la boulangerie à retourner à ses baguettes et à ses miches, ce qui plaira à tous sauf elle. C’est à ce moment qu’il me convoquera pour me demander de retarder mon départ. La directrice ne reviendra plus à son poste et fera durer son congé le plus longtemps possible avant de quitter définitivement la région. En ce qui me concerne je terminerai comme prévu à la fin de février 2020.
Je ne veux pas paraître amer en écrivant tout ceci, mais je crois juste de dire que la période précédant mon départ a assombri le dernier acte de mon passage dans ce marché d’alimentation. Quand j’y repense j’ai des frissons, mais je n’y serais pas resté plus de huit ans, c’est-à-dire mon plus long lien d’emploi à vie, si je n’y avais eu de bons moments, si je n’y avais fait aucun apprentissage et si je n’y avais reçu aucune reconnaissance.
Commentaires