Courir – Partie 2

Deuxième de trois parties

Rédaction et production


Le documentaire
Je voulais faire des films. Je voulais montrer mon talent et le faire juger par le public, l’ultime jury. Tous les films que je consommais étaient pour moi des cours et je me voyais très bien en réaliser un. J’allais y arriver puisqu’on m’avait sélectionné pour participer à la Course Estrie. J’avais un budget, du support et des idées.

La première œuvre à produire était notre documentaire. Liberté supposément absolue, tant que nous restions dans la limite de cinq minutes. Les deux participants de la Course Estrie 2007 et 2008, qui avaient fait des films dans la MRC des Sources, n’avaient pas traité d’Asbestos.

J’ai choisi cette ville lorsqu’Alain, mon répondant, m’a parlé de la maison dans laquelle il était né et qui avait été détruite pour faire place à l’expansion de la mine d’amiante. Une grande part du patrimoine bâti asbestrien n’existe plus aujourd’hui pour cette raison. La mine qui se remplie maintenant d’eau faute d’activité a, au fil du temps, engouffré des quartiers entiers, forçant la relocalisation des gens et des commerces. Le plus beau, c’est que personne ne s’y opposait malgré la démesure et, c’est ainsi que j’ai trouvé mon titre.


Pendant l’une de nos formations à Montréal, notre professeur a fait un tour de table pour nous demander comment nous allions appeler nos documentaires. Je n’avais pas encore trouvé la bonne idée et lorsqu’est venu mon tour, j’ai eu un éclair de génie : Les pieds dans le vide. L’idée n’a laissé personne indifférent. J’étais content de moi. Cela représentait parfaitement la situation. La métaphore était assez évidente et ne risquait pas trop de heurter la sensibilité des gens de là-bas.

En fait, c’était trop beau pour être vrai. C’est Olivier de Sherbrooke qui, très gentiment, m’a fait redescendre de mon nuage. Il m’a appris que Mariloup Wolfe venait de réaliser Les pieds dans le vide, mettant en vedette Guillaume Lemay-Thivierge. C’était un film de parachutistes. Mon idée était bien meilleure, mais je suis moins connu, alors j’ai dû concéder la victoire.

C’est de retour dans le confort de notre salon qu’en discutant avec Annie, récemment promue assistante-réalisatrice et directrice musicale, que nous avons trouvé Démesure : «Manque de mesure, exagération des sentiments ou des attitudes. → excès, outrance.» Merci Petit Robert.

J’ai fait quelques heures d’entrevue avec trois témoins des pires années de l’expansion de la mine. J’ai bien trié tout ce qu’ils et elles m’ont dit et j’ai réussi à compacter le tout en cinq minutes et une seconde. Ce n’était pas un documentaire au sens «Pierre Perrault» du terme. Il serait plus juste de l’appeler un reportage, puisque je ne suivais pas les sujets dans leur vie et leurs épreuves. Les tests d’audience que j’ai fait m’ont satisfait. Je pouvais maintenant me concentrer sur la prochaine étape de la Course : la fiction.



La fiction
J’aime les documentaires, mais mon but c’était de faire des fictions, de raconter mes histoires inventées. Dans le synopsis que j’avais soumis avec mon dossier d’application à la Course, j’utilisais une histoire développée en collaboration avec mon ami Neph Frank, où je racontais le développement à huis clos de la relation entre deux personnes, qui ne se destinaient pas l’une à l’autre. C’est un cliché que j’adore.

Maintenant que j’avais une région imposée, j’avais envie d’écrire quelque chose de nouveau et de l’adapter à l’environnement. J’aime beaucoup les églises de village et l’occupation du territoire m’intéresse énormément. J’ai écrit le scénario à propos d’une jeune femme qui hésite à revenir dans son patelin, auprès de sa famille. Son retour concorde avec la tenue d’un événement prenant place à l’église. Elle rencontre un jeune homme du coin qui la prend sur le pouce. À son arrivée à l’église elle croise le curé, qui est un ami de sa famille et qui sortait en catimini par la porte arrière, pour griller une clope.

Le rôle de Frédérique, l’héroïne, sera tenue par ma belle-sœur. Le rôle du jeune homme, Maxime, par Pascal, participant de la Course 2008. Mon curé, Louis, sera joué par un ami de la famille d’Annie. Finalement, j’aurai 70 figurants pour l’événement à l’église. Pour ces derniers je solliciterai la famille, les amis, les collègues de travail et les gens du village de St-Adrien, où le tournage avait lieu.

Le choix de St-Adrien s’est fait lorsqu’Annie et moi sommes partis nous promener dans quelques villages de ma MRC : St-Georges-de-Windsor, Ham-Sud, Wotton etc. Au début je voulais une église en brique et à Wotton elle rencontrait cette exigence, en plus d’avoir un banc de parc entouré de pierres tombales à l’arrière. Ça aurait fait un très beau décor pour filmer Frédérique et le curé.

L’église de St-Adrien était en bois, mais le village présentait une foule d’avantages : paysage magnifique, approche pittoresque par le nord-est, charmante église avec porte de secours bien située pour la cigarette du curé, disposition parfaite des rues, du terrain et de l’ancien presbytère, devenu un B&B.


J’ai arrêté mon choix. Alain m’a mis en contact avec la présidente de la Fabrique de St-Adrien, pour les autorisations de tournage sur le terrain de l’église. C’était une gentille septuagénaire qui s’occupait toujours de sa vieille mère. Alain m’a aussi obtenu une commandite du petit marché du village, pour servir des hotdogs à tous les participants lors de la grosse journée de tournage. Nous avons préparé un rallye pour bonifier l’heure de route que nous imposions aux figurants.

Nous avons tout filmé en deux samedis. Comme l’ensemble des scènes se déroulait à l’extérieur, ou dans un gros pickup rouge, j’étais à la merci des conditions météorologiques. J’ai filmé les scènes en ordre chronologique. Pour commencer, l’héroïne devait être couchée dans un champs, en regardant un avion passer dans le ciel.

Évidemment, il pleuvait. Frédérique s’est tenue debout dans un imperméable jaune, appuyée sur un poteau de clôture, à regarder dans le vide. À la fin de la journée le soleil de juillet était sorti, mais nous en étions à tourner les scènes dans le gros pickup rouge. Les deux acteurs étaient à l’avant, fenêtres fermées pour une qualité optimale du son. Annie était à l’arrière avec moi, la caméra et le micro. Nous étions sur le point de nous noyer dans notre transpiration.


Le deuxième samedi, c’était le tournage avec les figurants. Le soleil tapait. J’étais stressé parce que je faisais attendre tout le monde. Par chance, l’amie d’une de mes tantes a calmé tout le monde, moi le premier, en partageant son expérience lors d’un tournage professionnel. Elle a fait le résumé du travail d’un(e) figurant(e) : attendre.

La journée s’est bien déroulée. Mathieu du Granit est venu m’aider à la technique. J’ai un peu manqué l’entrée en scène de mon curé, mais j’ai dû faire avec ce que j’avais. Mon père et ma sœur ont pris en charge la cuisson des hodogs sur le barbecue et nous avons eu beaucoup trop de saucisses et de pains. Je pense que mon acteur est tombé amoureux de mon actrice, mais tout cela est resté dans le non-dit.

Il me restait maintenant une semaine pour faire la sélection des meilleures prises et le montage des séquences. Mon ami Raphaël m’a généreusement composé une pièce extraordinaire pour la trame sonore. J’ai choisi mon titre, … mais revenir, pour souligner l’épreuve qu’est un retour dans un endroit où nous avons vécu des moments difficiles. J’étais content de mon film. Je le trouvais beau et avec la musique, il me donnait le frisson.

La remise du produit fini était le 1er août. Il restait ensuite deux mois à attendre avant la soirée première au Théâtre Granada, à Sherbrooke.