Détail d'une porcelaine |
Troisième de cinq parties
Dans le Comte de Monte-Cristo, on nous parle souvent du coût du bonheur. Cela découle je crois, de cette conception judéo-chrétienne voulant que lorsqu’une personne souffre suffisamment de son vivant, elle gagne sa place au ciel après la mort. Selon cette idée, un homme quelconque, vivant l’agonie en prison pendant 14 ans, mérite le bonheur, ou à tout le moins le succès dans ses projets.
Le projet d’Edmond Dantès, sa vengeance, est d’une complexité spectaculaire et en de nombreuses occasions, il suffirait d’une infime erreur pour que le succès planifié se transforme en échec assuré. On fini par croire à l’intervention divine qu’il ramène constamment. Malgré l’ampleur et l’improbabilité d’une telle histoire, Dumas s’est inspiré de deux sources qui n’ont presque rien à voir avec Dieu, sinon sur le plan toponymique. La première et la plus surprenante, est que l’auteur a extrapolé la réalité en reprenant un fait divers, relaté dans Mémoires historiques tirées des archives de la police de Paris, paru en 1838.
Catherine Eugène fait de ce récit intitulé Le diamant et la vengeance, un excellent résumé dans sa préface de l’édition Pocket de 1997, que ma profonde paresse me fait ici retranscrire :
En 1807, à Paris, un jeune cordonnier, François Picaud, est sur le point d'épouser une jeune fille belle et riche, Marguerite Vigoroux. Il se rend un soir chez un cafetier de ses amis, Mathieu Loupian, natif de Nîmes. Ce dernier, jaloux de la bonne fortune de son ami, projette avec trois complices de retarder le mariage : il dénonce Picaud comme agent secret des Anglais et de Louis XVIII. La police prend au sérieux l'accusation, Picaud est enlevé et disparaît, malgré les recherches entreprises par sa famille et sa fiancée. Picaud passe sept ans au château de Fenestrelle, d'où il sort en 1814, à la chute de l'Empire, ravagé par ses années de captivité, méconnaissable.
Pendant son séjour en prison, un prélat italien, prisonnier politique, l'a soigné avec dévouement. Malade, il lui lègue tous ses biens avant de mourir. À sa sortie de prison, Picaud va les chercher en Italie : il s'agit d'un véritable trésor. Il retourne à Paris sous le nom de Joseph Larcher et mène son enquête : sa fiancée, le croyant mort, a fini par épouser le traître Loupian. Il apprend d'un certain Antoine Allut, qu'il va visiter à Nîmes, déguisé en prêtre italien, le nom des complices de Loupian, chez qui, à son retour à Paris, il se fait engager comme garçon limonadier.
Picaud entreprend alors de se venger. L'un des complices, Chambard, est poignardé sur le ponts des Arts. Sur le manche du couteau, resté dans la blessure, on lit ces mots : Numéro un. Puis il déshonore Loupian en faisant épouser à sa fille un forçat libéré qui se faisait passer pour un riche marquis, et incendie son établissement. Un deuxième complice meurt empoisonné, et le drap noir recouvrant son cercueil porte l'inscription : Numéro deux. Mme Loupian meurt de chagrin, tandis que Picaud assassine son mari après s'être fait reconnaître de lui. Mais il est à son tour assassiné par Antoine Allut, qui avait assisté à la scène. Allut s'enfuit en Angleterre. Au moment de mourir, en 1828, il fait venir à son chevet un prêtre et lui confesse son crime [...].
Allut n’a pas son équivalent dans le roman de Dumas. Tant mieux, parce qu’on a envie de voir Monte-Cristo triompher. La réalité est presqu’aussi fascinante que le roman. Une fiancée, une dénonciation, un italien qui lègue un trésor, un changement d’identité, ont trouvé leur place dans le Comte de Monte-Cristo. Les attaques de front comme le meurtre, ou un incendie n’étaient pas dignes d’un héros romantique.
Les archives de la police nous suggèrent un Picaud détestable, égoïste, simple criminel, impatient, maladroit, alors que le Comte est le grand frère de tous ceux qui entreprennent sa lecture. Jamais nous ne doutons du droit d'Edmond Dantès de se faire justice et sans en être conscient, nous nous identifions au personnage principal. Malgré la douleur de vivre qu'a connu le Comte, nous voulons prendre sa place, sa richesse, ses connaissances infinies, son intelligence infaillible, sa liberté. Parce que libre, le Comte l’est, pensant, faisant, allant et venant comme bon lui semble. Sans compter qu’il est protégé par le destin, revenant toujours plus riche de ses aventures, tel un Simbad le Marin.
Le héros se fera souvent appeler par ce nom, ainsi orthographié, de Simbad le Marin. C’est une référence à son amour pour l’Orient, à son habitude de voyager, à l’image qu’il désire projeter de quelqu’un qui a vu le magnifique, comme le terrible des quatre coins du monde. Dumas le savait trop bien, le voyage et l’exotique vendent bien les livres.
Il a écrit de nombreux récits et commentaires sur ses déplacements, ou même sur des lieux qu’il n’a jamais visités. C’est ainsi qu’un jour il passa [réellement] au large d’un petit caillou desséché situé entre la Toscane et la Corse, qui allait devenir la deuxième source d’inspiration pour ce grand roman d’aventure. Ce caillou, c’était l’isola di Montecristo : l’île de la Montagne du Christ. Cette île est la source de la fortune du héros et par son nom, elle lui donne sa forme divine.
Vous connaissez déjà l'histoire, sautez le résumé et passez directement à la partie 4 :
https://route138.blogspot.com/2019/08/175-ans-de-monte-cristo-partie-4-lecran.html
Le Comte en (presque) bref – Troisième partie
L’issue
Avec l'appui de la Providence, Monte-Cristo s’attaque à ses ennemis en toute confiance. Il a une telle assurance qu'il prend le temps de les vaincre sur leur propre terrain. Dans son plan, il ne doit pas avoir de sang sur les mains. Il ne doit être imputable de la mort de personne et pour se faire, il n’a eu qu’à déterrer les secrets de chacun. Cela lui permettra de les humilier et de les faire souffrir, comme lui a souffert physiquement et psychologiquement pendant 14 ans dans un trou humide du Château d’If.
Le premier à subir la pleine étendue de la vengeance, sera contre toute attente une personne que Monte-Cristo avait tenté d’aider, Gaspard Caderousse. Suite à la rencontre avec l’abbé italien, l’homme se fera criminel en éliminant le joaillier qui lui avait racheter le diamant. Il allait ensuite tomber dans une vie de vols, d’escroqueries, de chantage et de meurtres.
Caderousse, tenté par les immenses richesses du Comte, ira cambrioler sa belle résidence de l’avenue des Champs-Élysées. Alerté par un message anonyme, Monte-Cristo attendra le voleur et lorsqu’il découvrira l’identité de l’homme qui force les tiroirs de son secrétaire, il remettra son costume d’ecclésiastique pour confronter son ancien voisin. Il lui laissera la vie sauve et le laissera s’enfuir, tout en lui rappelant que c’est Dieu lui-même qui allait décider de son sort.
Caderousse tombera sous le poignard de son complice, qui le trouvait trop encombrant et qui l’attendait au coin de la rue.
Le second à payer de sa vie est Fernand Mondego. Cet homme obtiendra bien des choses par la trahison. La femme qu’il aime en dénonçant Dantès comme agent bonapartiste. Une promotion en désertant l’armée de Napoléon, à la veille de sa dernière défaite. La fortune en donnant aux Ottomans le sultan Ali-Tebelin, auprès duquel il s’était engagé faute de conflit en France.
Ali Pacha de Tepelenë 1741-1822 |
Cet Ali-Tebelin avait plusieurs femmes, mais sa favorite avait donné naissance à une fille, Haydée. Celle-ci sera vendue comme esclave par Mondego. Monte-Cristo la rachètera et en prendra soin. Au moment opportun, il la laissera dévoiler qui elle est à la société parisienne. En apprenant tous les crimes de son père, le Vicomte Albert de Morcerf quittera la demeure familiale avec sa mère. Il prendra le nom de jeune fille de celle-ci et s’engagera dans l’armée pour racheter son honneur.
Le Comte de Morcerf se brûlera la cervelle d’un coup de pistolet et il sera le dernier à mourir. Villefort devait être le prochain, mais il apportera au Comte de Monte-Cristo, ses seuls doutes sur la justesse de ses actions.
En habile chimiste, le Comte améliorera les talents d’empoisonneuse d’Héloïse, la seconde femme du Procureur du Roi. Ambitieuse, elle éliminera un à un tous ceux qui directement, ou indirectement, peuvent contribuer à l’avenir financier de son jeune fils. Elle s’acharnera finalement sur Valentine, amoureuse secrète de Maximilien Morrel, qui est promise à un autre et sur laquelle est maintenant concentré une véritable fortune.
Valentine sera sauvée in extremis de ce mariage non désiré, par son grand-père Noirtier. Pour sa part Monte-Cristo la préservera de la mort en la plongeant dans un profond coma pour berner l’empoisonneuse et les médecins. Lorsqu’il se dévoilera au Procureur du Roi, le héros réalisera que dans la lancée, il a peut-être été trop efficace. L’empoisonneuse, à qui Villefort avait donné l’ordre de se rendre aux autorités, ou de se suicider, choisira la deuxième option et emportera avec elle son jeune fils. Rongé par la culpabilité et devant tant de morts dans sa maison, Villefort perdra la raison.
Monte-Cristo recula avec terreur.
« Oh ! dit-il, il est fou ! »
Et, comme s’il eût craint que les murs de la maison maudite ne
s’écroulassent sur lui, il s’élança dans la rue, doutant pour la première
fois qu’il eût le droit de faire ce qu’il avait fait.
« Oh ! assez, assez comme cela, dit-il, sauvons le dernier. »
Chapitre 110 – L’acte d’accusation
Le dernier, c’est Danglars. Humilié par une improbable banqueroute et par le mariage manqué de sa fille avec un évadé du bagne qui se faisait passer pour un prince, il fuira en Italie avec une lettre de change volée aux hospices de Paris. Aux environs de Rome, il sera enlevé par des brigands, qui travaillent en étroite collaboration avec Monte-Cristo. Ils auront pour instruction de ne lui faire aucun mal, mais de l’obliger à utiliser l’essentiel de la lettre de change, le faisant payer cher pour chaque gorgée d’eau et chaque bouchée de pain.
Lorsqu’il ne lui restera presque plus rien pour marchander, c’est Edmond Dantès qui se présentera devant lui, accordant son pardon, pour obtenir le sien.
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