175 ans de Monte-Cristo – Partie 4 – À l'écran


Quatrième de cinq parties

Une fois qu’un ou une auteure a cassé sa pipe, il y a une période allant de 50 à 70 ans selon le pays, où ses héritiers perçoivent les droits d’auteur. Après cette période, une œuvre entre dans le domaine public. À partir de ce moment, n’importe qui peut utiliser le récit comme bon lui semble, sans rendre de compte, sans payer un sou. C’est pour cette raison qu’il y a tant de classiques qui nous sont resservis ad nauseam au cinéma, à la télé, en bande-dessinée, ou au théâtre. Pensez aux sept histoires de Jane Austen, au Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle, à l’ensemble de l’oeuvre de Shakespeare, pour ne nommer que ceux-ci.

Dans le cas d’Alexandre Dumas, le site IMDb recense en date d'aujourd'hui 287 adaptations de ses différents écrits. Les deux titres les plus utilisés sont les Trois mousquetaires et le Comte de Monte-Cristo. Je n’ai vu que quatre ou cinq films, ou séries basés sur le roman et cela représente un échantillon plutôt maigre. Au cumul, j’ai lu plus souvent le Comte que je n’ai écouté d’adaptations, toutes versions confondues. Je suis trop attaché au texte original, ce qui fait que je ne suis jamais satisfait de ce que je vois à l’écran. J’ai tout de même retenu trois réécritures qui m’ont marquées d’une façon ou d’une autre. Il y a Gankutsuou, un dessin animé japonais en 24 épisodes, ensuite le film américain de 2002 avec Jim Caviezel et finalement la série en quatre épisodes avec Gérard Depardieu.

Cette série avec Depardieu est la première que j’ai vue. Ce que j’en aime se résume possiblement à l’acteur Sergio Rubini, dans le rôle de Bertuccio, l’intendant du Comte. Il joue parfaitement l’Italien constamment dépassé par les événements. En ce qui concerne les autres acteurs, j’ai du mal à les prendre au sérieux.

Jean Rochefort dans le rôle du Comte de Morcerf, Pierre Arditi dans le rôle de Gérard de Villefort, Michel Aumont dans le rôle du Baron Danglars, font trois ennemis un peu niais. Ce sont tous de bons acteurs, mais ils ont des gueules trop sympathiques pour jouer les traîtres. Il ne manquait plus que Jacques Villeret dans le rôle de Caderousse. En ce qui concerne Depardieu, il n’a pas le physique de l’emploi.

Le Comte est grand, beau et mince. Toutes choses que Depardieu n’est pas, ou du moins, ne l’était déjà plus en 1998. Quelques années auparavant il jouait Cyrano de Bergerac, reconnu pour sa laideur. Quelques années plus tard il jouera Alexandre Dumas, qui n’avait rien pour lui. De plus, lorsqu’il interprète le Comte, il donne l’impression de réciter ses lignes.

L’écriture de cette série de billets m’a donné l’envie de revoir cette adaptation, mais après quelques minutes, j’en avais assez. J’ai cherché la scène où il est question d’un mariage entre Haydée et le Baron Franz d’Épinay, un ami du Vicomte de Morcerf, mais j’ai perdu patience même pour cela. J’ai sauté directement à la fin fleur bleue : Edmond Dantès se baignant dans la mer avec Mercédès, arrêt sur image, générique.

La deuxième adaptation dont je parlerai est le film américain de 2002. Je n’ai pas le droit d’en dire trop de mal pour des raisons d’auto-censure conjugale. Annie aime à revoir ce film à l’occasion. Je l’ai écouté très récemment parce que je ne m’en souvenais que très peu. Ma première impression est qu’avec 130 minutes, il n’y a pas beaucoup de place pour du détail. Plutôt que d’expliquer, on illustre certains aspects de la vie du Comte. Mon exemple favori est son entrée dans la société parisienne en montgolfière, avec des feux d’artifices en arrière-plan. Tout le spectaculaire de cet événement, lentement planifié par le Comte et mis en place par ses dévoués serviteurs dans le livre, repose sur ce ballon dans le film. Ah! Oui, coup de théâtre, Albert n’est pas le fils de Fernand, mais bien d’Edmond Dantès et de Mercédès, ce qui motive d’autant plus leur décision de refaire leur vie ensemble. En ce qui concerne les acteurs, il y a quelques bons choix.

L’Abbé Faria de Richard Harris est excellent. Un type capable de jouer le professeur du Comte de Monte-Cristo, l’empereur Marc-Aurèle et Albus Dumbledore, est forcément charismatique. Pour gagner du temps, ils en ont aussi fait son maître d’armes. Dans le roman le personnage s’opposera, jusqu’à son dernier souffle, à toute violence. Il y a le très sympathique Luis Guzman dans le rôle de Jacopo, fidèle compagnon du Comte et fusion de tous les Jacopo, Ali, Bertuccio et Baptistin du livre. Les traîtres ont tous l’air prêt à vendre père et mère. Dommage que pour écourter, les scénaristes aient éliminé Caderousse. C’est d’ailleurs étrange, puisqu’ils ont ajouté des personnages qui n’existaient pas et ils ont changé les noms de certains autres.

Richard Harris

Ce n’est pas un mauvais film et je lui donne un avantage sur les autres adaptations, celui de se dissocier ouvertement de la trame originale du livre. Les autres cherchent, d’une façon ou d’une autre, à nous faire croire qu’ils conservent l’esprit de base, tout en prenant des libertés «mineures» sur certains personnages, certains événements, ou sur l’époque, comme dans Gankutsuou.

J’ai écouté Gankutsuou au complet une fois. Les épisodes font seulement 25 minutes, mais multipliés par 24, ça commence à faire long. Au moins il y a de la place pour du détail. Le choix de l’époque s’est fait en fonction d’ajouter des voyages interstellaires et des extra-terrestres. Il y a certaines similitudes avec le courant steampunk, sans toutefois rencontrer tous les critères. Essentiellement la série n’est pas une uchronie du 19e siècle, mais se déroule au début du sixième millénaire. Ce qui la rapproche du courant steampunk sont ses références rétros comme les voitures à chevaux [mécaniques], la mode, les classes sociales, ou les coutumes. Il y a beaucoup de personnages, alors que les scénaristes choisissent souvent d’en fusionner plusieurs pour gagner du temps, comme en 2002, mais aussi en 1998. Il y a une certaine fidélité dans les événements, bien que sur le plan de l’écriture, il y ait beaucoup de liberté. Une des choses que j’ai adoré, est le traitement de la relation entre Maximilien et Valentine.

Leur histoire occupe toute la place qui lui revient dans la série et le «temps à l’écran» d’Haydée est plus important que dans le livre. La recherche esthétique pour les textures de vêtement et les cheveux est très originale, mais l’effet s’estompe vite et devient plus une distraction, qu’un plaisir. À la fin, les scénaristes ne se sont pas demandés avec qui le Comte devait finir sa vie, ils l’ont simplement tué, transformant le héros romantique, en héros shakespearien. Pourquoi pas? Dumas vénérait Shakespeare. En résumé, je n’étais probablement pas le public cible. Trop vieux, trop occidental, trop puriste pour véritablement apprécier le travail d’écriture derrière la série animée. Je n’ai pas détesté, mais comme les autres, je n’ai jamais eu envie de la réécouter en entier. Je suis pourtant fier d'avoir revu des centaines de fois les Star Wars, les Indiana Jones, Cyrano de Bergerac et même Just Go With It d'Adam Sandler. Pourquoi suis-je incapable de réécouter une adaptation du Comte de Monte-Cristo? Je crois que tout réside dans la fin.

Mon ami Alexandre a un jour dit, après avoir écouté une comédie dont la conclusion m'avait déçue, qu'il avait rarement vu quelqu'un qui accordait autant d'importance à la fin. Dans les différentes adaptations modernes que j’ai pues voir du Comte, il ne reste pas grand chose du dénouement tel que Dumas l'a imaginé. La fin est pourtant parfaite, tel qu'écrite il y a presque 175 ans. C'est à croire que tout le monde a envie de voir Dantès retourner auprès de Mercédès.

En se basant sur la lecture, il n’y a rien de satisfaisant à ce que Dantès et Mercédès reviennent ensemble. Le roman est très explicite sur le fait que torturée par ses choix de vie et surtout par son infidélité à la mémoire du héros, la Comtesse de Morcerf ne se sent pas digne de retourner auprès de son premier amour. Même s’il existe encore un grand respect entre les deux personnages, même si Monte-Cristo est incapable de refuser une faveur à la belle catalane, il n’est plus question pour eux de reprendre là où ils avaient été contraints de s’arrêter en 1814.

La réaction de Mercédès après le suicide de son mari 25 ans plus tard, n’est pas «Cool, enfin libre. Où en étions nous, Edmond?» Elle décide plutôt de chercher un couvent pour s’y retirer et y attendre le retour de son fils. C’est à ce jeune homme qu’elle veut consacrer ses pensées, c’est lui maintenant, l’amour de sa vie. Et au passage, oubliez l’idée qu’Albert est peut-être le fils d’Edmond Dantès. La chronologie ne le permet tout simplement pas. Plusieurs mois s’écoulent entre l’arrestation de Dantès et le mariage de Fernand et Mercédès. La jeune femme aurait eu du mal à dissimuler sa grossesse. Pour s’assurer qu’il n’y a aucun doute, le roman sous-entend que les deux jeunes promis n’ont pas consommé leur amour, avant leur séparation.

– Ah ! c’est vrai, Dantès ; j’oubliais qu’il y a aux Catalans quelqu’un
qui doit vous attendre avec non moins d’impatience que votre père : c’est
la belle Mercédès. »
Dantès sourit.
« Ah ! ah ! dit l’armateur, cela ne m’étonne plus, qu’elle soit venue
trois fois me demander des nouvelles du Pharaon. Peste ! Edmond, vous
n’êtes point à plaindre, et vous avez là une jolie maîtresse !
– Ce n’est point ma maîtresse, monsieur, dit gravement le jeune marin :
c’est ma fiancée.
– C’est quelquefois tout un, dit l’armateur en riant.
– Pas pour nous, monsieur, répondit Dantès.
Extrait du chapitre 1 – Marseille. L’arrivée

Si ce n’était pas assez il y a le duel, après l’insultante provocation publique d’Albert. Monte-Cristo est tout naturellement prêt à contrevenir à son engagement de ne point se salir les mains, en éliminant le fils de son pire ennemi. Ce héros parmi les héros, le cas échéant, eusse su qu’Albert était son fils et ne se serait jamais abaissé à l’infanticide. C’est une scène passionnante, qui se clôt avec ce qu’on appelle au théâtre et au cinéma, un deus ex machina. Albert découvre l’humilité et vit. Le Comte plie devant la fatalité et triomphe. Alors, quelle serait l’approche idéale pour une bonne adaptation?

Je n'en ai sincèrement aucune idée, ce qui fait que Les 10 heures que dure Gankutsuou, je préfère encore les investir dans la relecture de ce sublime roman d’aventure.

Vous connaissez déjà l'histoire, sautez le résumé et passez directement à la partie 5 :

https://route138.blogspot.com/2019/08/175-ans-de-monte-cristo-partie-5.html

Le Comte en (presque) bref – Quatrième partie

La finale, la vraie
L’aventure à proprement parler se termine sur la dernière rencontre entre Dantès et Danglars, mais la finale du roman se déroule sur une plage de l’île de Monte-Cristo. Maximilien et Valentine sont debout et ils regardent une petite voile blanche disparaître au loin, derrière la ligne d’horizon. C’est Edmond Dantès qui devait partir seul, mais qui finalement s’est laissé convaincre qu’il avait droit à une nouvelle chance. À son bras se tient la jeune Haydée, qui n’est plus son esclave, mais celle qui l’aime et celle qu’il aime.


Peu avant de quitter Paris, le Comte rédigeait son testament, par lequel il léguait sa fortune aux êtres qui lui étaient chers : Maximilien et sa sœur Julie et Haydée. Lorsque la fille d’Ali-Tebelin a vent de ce projet, elle refuse les richesses, préférant se laisser mourir.

« Oh ! mon seigneur, dit-elle en joignant les mains, pourquoi écrivez-
vous ainsi à une pareille heure ? Pourquoi me léguez-vous toute votre
fortune, mon seigneur ? Vous me quittez donc ?
– Je vais faire un voyage, cher ange, dit Monte-Cristo avec une expression
de mélancolie et de tendresse infinies, et s’il m’arrivait malheur... »
Le comte s’arrêta.
« Eh bien ?... demanda la jeune fille avec un accent d’autorité que le
comte ne lui connaissait point et qui le fit tressaillir.
– Eh bien, s’il m’arrive malheur, reprit Monte-Cristo, je veux que ma
fille soit heureuse. »
Haydée sourit tristement en secouant la tête.
« Vous pensez à mourir, mon seigneur ? dit-elle.
– C’est une pensée salutaire, mon enfant, a dit le sage.
– Eh bien, si vous mourez, dit-elle, léguez votre fortune à d’autres, car,
si vous mourez... je n’aurai plus besoin de rien. »
Et prenant le papier, elle le déchira en quatre morceaux qu’elle jeta au
milieu du salon. Puis, cette énergie si peu habituelle à une esclave ayant
épuisé ses forces, elle tomba, non plus endormie cette fois, mais évanouie
sur le parquet.
Extrait du chapitre 90 – La rencontre

Le Comte sera un peu lent à comprendre ce qui se passe, malgré tous les messages subtils et moins subtils lancés par la jeune femme. Il a les idées ailleurs, apparemment. Haydée, dans sa courte vie a aimé deux hommes, Ali-Tebelin comme un père et Monte-Cristo comme un amant. Jusqu’à la toute fin, le héros refusera de croire qu’il mérite une nouvelle chance de bonheur – si ce n’est pas de la philosophie judéo-chrétienne, ça – et dans les dernières lignes du roman, il a encore du mal à croire que c’est possible pour lui :

« Ainsi, mon seigneur, tu me quittes ? dit-elle.
– Haydée ! Haydée ! tu es jeune, tu es belle ; oublie jusqu’à mon nom et
sois heureuse.
– C’est bien, dit Haydée, tes ordres seront exécutés, mon seigneur ;
j’oublierai jusqu’à ton nom et je serai heureuse. »
Et elle fit un pas en arrière pour se retirer.
« Oh ! mon Dieu ! s’écria Valentine, [...], ne voyez-vous donc pas comme
elle est pâle, ne comprenez-vous pas ce qu’elle souffre ? »
Haydée lui dit avec une expression déchirante :
« Pourquoi veux-tu donc qu’il me comprenne, ma sœur ? il est mon
maître et je suis son esclave, il a le droit de ne rien voir. »
Le comte frissonna aux accents de cette voix qui alla éveiller jusqu’aux
fibres les plus secrètes de son cœur ; ses yeux rencontrèrent ceux de la
jeune fille et ne purent en supporter l’éclat.
« Mon Dieu ! mon Dieu ! dit Monte-Cristo, ce que vous m’aviez laissé
soupçonner serait donc vrai ! Haydée, vous seriez donc heureuse de ne
point me quitter ?
– Je suis jeune, répondit-elle doucement, j’aime la vie que tu m’as toujours
faite si douce, et je regretterais de mourir.
– Cela veut-il donc dire que si je te quittais, Haydée...
– Je mourrais, mon seigneur, oui !
– Mais tu m’aimes donc ?
– Oh ! Valentine, il demande si je l’aime ! Valentine, dis-lui donc si tu
aimes Maximilien ! »
Le comte sentit sa poitrine s’élargir et son cœur se dilater ; il ouvrit ses
bras, Haydée s’y élança en jetant un cri.
Extrait du chapitre 117 – Le 5 octobre

Pendant cette scène, Maximilien est profondément endormi, sous l’influence d’un somnifère fourni par le Comte. Le jeune homme avait demandé un puissant poison, parce qu’il ne pouvait pas vivre sans Valentine. C’est que Monte-Cristo lui avait tout caché de son plan pour protéger Valentine. En se réveillant, il réalise bien vite qu’il n’est pas mort. Il s’étire pour prendre un couteau et en finir au plus vite. Il est arrêté dans son mouvement par la voix de celle qu’il croyait avoir perdue.


Une fois sur la plage, ils lisent une lettre que leur a laissé Edmond Dantès et par laquelle il leur donne quelques propriétés, dont sa maison des Champs-Élysées en cadeau de noces. Il demande à Valentine, déjà riche par les parents de sa mère, de donner tout l’héritage qui devait lui revenir par son père devenu fou et son petit frère mort, aux pauvres de Paris. Apprenant ces deux malheurs à la lecture de la lettre, la jeune fille trouvait que «son bonheur lui coûtait bien cher».

Pour lire la finale de cette série, cliquez sur le lien suivant :

https://route138.blogspot.com/2019/08/175-ans-de-monte-cristo-partie-5.html

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