Frédérique – Partie 2




Je vous recommande d'écouter le court métrage de 10 minutes et de lire la première partie, avant de commencer ce billet.

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J’ai fait des auditions seulement pour trouver Frédérique. Il y avait deux candidates et toutes les deux étaient de l’entourage d’Annie : une collègue et sa sœur. La collègue vivait des moments difficiles sur le plan professionnel et on sentait le personnage frustré, prêt à éclater. Quand je lui ai demandé quelle décision prendrait finalement Frédérique, repartir ou rester, elle n’a pas hésité une seconde. Elle devait s’en aller.

En posant la même question à ma belle-sœur, la réponse était bien différente. Elle ne vivait pas du tout les mêmes émotions. Elle s’apprêtait à s’installer dans la vie avec un poste dans son domaine, une maison avec son conjoint et le tout dans sa ville natale. J’aimais mieux une Frédérique confuse par le questionnement, que frustrée par la situation et je crois que personnellement, j’avais envie qu’elle reste à St-Adrien. C’était plutôt paradoxal, puisque pour la deuxième partie, Frédérique et Goran, je l'ai installée à Sherbrooke.


Cette suite est née de plusieurs facteurs. D'abord, j'avais besoin d'une histoire pour répondre à l'invitation de Fannie et sa sœur, de la Course Estrie 2009, qui ont suggéré de faire un long métrage «à dix mains», avec William et Marc. Ensuite, j'avais déjà l'actrice pour jouer Frédérique, ce qui me permettait de sauter l'étape des auditions. Finalement, j'avais le désir de revisiter le personnage pour me détacher de l’image négative de … mais revenir, dont j’ai parlé dans mon billet précédent.

Frédérique et Goran fera partie du long métrage Congé sans solde. Dès le départ, j’avais trois défis à relever. D’abord je devais m’assurer que mon histoire était compréhensible toute seule et en groupe. Ensuite, nous nous étions entendu pour faire une comédie et je n’avais jamais mener à terme pareil exercice d’écriture. Finalement je devais renouveler complètement Frédérique, en donnant l’impression que c’était la même personne.

Autarcie
Je n’ai pas trouvé si difficile de développer mon court métrage pour qu’il soit auto-suffisant, tout en s’imbriquant logiquement avec les segments des autres réalisatrices et réalisateurs. Je me suis donné une chance en partant d’une histoire toute simple et j’ai écrit mon scénario comme si j’étais seul au monde. J’ai ensuite adapté des personnages, des situations, des actions et des objets qui étaient déjà sur papier, en fonction des autres histoires. La mienne est une classique rencontre entre une fille et un gars. Elle allait s’acheter un café. Il revenait des feux de la St-Jean au lac des Nations. Ils passent une partie de la nuit assis sur un banc de parc, à apprendre à se connaître.


Cette histoire, Neph et moi avions commencé à l’écrire ensemble quelques années avant, mais j’ai tout modifié. L’emplacement changera, puisque originalement l’histoire se déroulait lors d’une occupation étudiante d’un bureau de circonscription. Les noms des personnages, Julie et Govan, changeront pour faire le lien avec mon premier film et parce que j’adore la musique de Goran Bregovitch. Nous aimions beaucoup les films d’Emir Kusturica et j’ai toujours pensé que c’était de là que venait notre idée de mettre en scène un québécois, portant un prénom d’origine slave.

Parmi les autres aspects que j’ai conservés, je tenais au personnage féminin fort, j’adorais l’idée que la fille et le gars soient séparés, sans trop savoir s’ils se reverraient à la fin et nous voulions en faire une comédie.

Comédie
Quel est le mode d’emploi pour une bonne comédie? Je n’en suis pas certain, mais je pensais bien que d’utiliser le mot slavophile quelque part serait une valeur sûre. Neph et moi avons toujours pensé que tout était drôle. C’était peut-être une fausse impression, mais nous nous trouvions hilarant en toute situation, même sous le regard sévère de certain(e)s professeur(e)s. En fait, je crois que nous parlions trop.


C’est ce qui me servira d’inspiration puisque pour Frédérique et Goran, je ne manquerai pas de faire abondamment parler mes personnages. Le danger était le même que pour Neph, moi et notre public, soit d’ennuyer par trop de dialogues insipides. Comme je ne voulais pas faire dans le burlesque, tous mes espoirs de faire rigoler reposaient sur les conversations de mes personnages. Je devais m’assurer de pouvoir exploiter des bonnes sources de blagues comme un langage coloré, une conversation pendant laquelle deux personnes se rencontrent et d’autres conversations avec des tierces personnes au sujet de la rencontre.

Au final je ne ferai rire personne aux éclats, mais les sourires seront nombreux. Cela changeait de la réception de … mais revenir, perçu comme trop vague. Tellement vague que ma mère me conseillera d’abandonner la fiction, pour me concentrer sur le documentaire.

Renversement
C’est un peu pour elle que j’ai voulu donner le ton dès la première ligne de dialogue de mon film. J’ai choisi d’ouvrir avec «Tabarnak!». Ma mère détestait le langage grossier. Frédérique devait changer et de cette façon je la présentais déjà sous un autre jour. Je saisissais l’attention du public assez rapidement et tout de suite on se demandait si elle était choquée, si elle avait mal, ou si elle n’avait simplement aucune mesure des émotions. Pour elle, il n’y avait pas de différence entre laisser tomber quelques pièces dans la rue et avoir une crevaison. Je voulais une héroïne qui n’était pas tout à fait en possession de ses moyens, mais qui était totalement adorable. Je m’éloignais de l’ancien personnage peu développé, déprimé et antipathique.


On peut se demander s’il était important d’avoir une continuité entre les deux Frédérique, alors que si peu de gens se souvenaient, ou avaient vu … mais revenir. C’était un détail peut-être, mais j’aimais l’idée d’imaginer ce qu’elle avait décidé de faire après cette journée à l’église de St-Adrien. J’aime penser qu’elle va mieux, qu’elle est heureuse, qu’elle assume ses choix et que ses parents la font chier.

Pierre Javaux, un réalisateur professionnel d’origine belge, vivant à Sherbrooke et étant impliqué dans le milieu de la vidéo, avait eu la gentillesse de critiquer notre long métrage. Il avait trouvé de quoi faire de bons commentaires et du même coup, il m’avait rendu très fier de mon travail d’écriture :

  • […] J’ai particulièrement aimé le personnage de Frédérique […] dont les répliques sont très bien écrites et le personnage de la travailleuse sociale [Valérie Roy] qui rive son clou à l’amateur de «one night stand». D’ailleurs, le niveau de jeu est très bon la plupart du temps. [...]

Neph, lors de la conversation à l'origine de tout ceci, m’a dit : «Ce que j'aime dans ton écriture et qui est une belle qualité dans tes scénarios, c'est que tes répliques ne s'en vont pas où on s'attendrait.»


Si j'ajoute l'analyse de William, transcrite dans mon billet précédent, je peux dire honnêtement qu'il n’y a pas grand-chose de plus satisfaisant que la reconnaissance par des pros et par des gens dont on estime le travail. Après lecture, je réalise que ce film me fait encore sourire. Je suis content des échanges entre mes personnages. Si j’avais à parler de mes regrets, il y en aurait deux. Le premier est d’avoir trop retenu William dans son interprétation de Goran. Il n’a pas l’air aussi à l’aise que je l’imaginais. Le deuxième est que certains passages vont beaucoup trop vite. En ralentissant le rythme des échanges, mon film aurait eu moins l’allure d’une lecture rapide. Une preuve de plus que je ne suis pas un réalisateur, même improvisé.

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Commentaire de Robin Aubert, fait dans le magazine en ligne Kalibre Québec. Il n’a jamais vu le film, mais il a accepté d’associer sa voix au projet dans le cadre d’un défunt programme de coaching, qui s’est limité à l’écriture d’un paragraphe rempli de jolis noms à péter plus haut que le trou :

Chaque regroupement ou collectif se doit d’exister. Il n’y a pas assez de révolution et de mouvement créatif dans ce bas monde. De plus en plus, les choses se font de manière individuelle. Et je m’attriste de cela. L’époque où Hemingway rencontrait Fitzgerald, Dali, Bunuel, et Picasso à Paris est bel et bien révolu. La même chose pour le mouvement Panique de Jodorowsky et Arrabal. Et que dire des signataires du Refus Global, Borduas, Riopelle, les frères Gauvreau, Madeleine Arbour et compagnie. Lorsque qu’un groupe de personne décide de faire un film ensemble, de créer, de partager des idées, il n’y a rien à faire, mon cœur s’excite. Les poils de mon cul se redressent. Je suis fier et en admiration pour ces gens. Surtout lorsque deux soeurs arrivent à s’entendre. Peut-être un jour aurons-nous affaire aux « Sœurs Fortin » au même titre que les Frères Cohen ? Le temps nous le dira. Je souhaite à tout le monde une belle projection. À [Luc] je dis : «fais à ta tête». À [Marc] je dis : «fais-toi confiance». À [William] je dis : «Ne pense pas trop». À Fannie je dis : «Désorientes-toi». À [Macha] je dis «Ouvres tes ailes».

Bon cinéma

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Intégrale du commentaire de Pierre Javaux :

Tout d’abord confirmer la perception de Robin Aubert. Ils étaient (presque) tous des participants de l’édition 2009 de la Course Estrie et malgré l’inévitable compétition qu’implique le mot course, ils sont restés solidaires et se sont entraidés pendant la production de leurs courts métrages respectifs. Ils continuent avec ce long métrage à dix mains et c’est une démarche tout à fait exceptionnelle.

«Congé sans solde» c’est six intrigues qui se tiennent en bonne partie parce qu’elles viennent de la propre réalité des auteurs, je crois, et pour moi, c’est une très grande qualité. C’est aussi un «road movie» puisqu’on se retrouve très souvent en auto ce qui fait fatalement penser à Québec-Montréal de Ricardo Trogi. C’est aussi un « feel good movie » parce que les situations sont du côté de la vie dans tout ce qu’elle peut avoir de pétillant, y compris l’humour.

J’ai particulièrement aimé le personnage de Frédérique [...] dont les répliques sont très bien écrites et le personnage de la travailleuse sociale [Valérie Roy] qui rive son clou à l’amateur de «one night stand ». D’ailleurs, le niveau de jeu est très bon la plupart du temps.

Il reste des problèmes à régler notamment sur le plan du son qui empiètent un peu sur notre plaisir et également, trouver le bon codec pour la diffusion.

On ne peut qu’espérer que cette démarche se prolonge dans un nouveau projet complètement abouti.

16 juillet 2011


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