Je vous recommande d'écouter le court métrage de cinq minutes avant de lire le billet.
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Je parle souvent de mon ami Neph. C’est parce que je parle souvent avec mon ami Neph. Nos conversations sont presque toutes par messagerie instantanée – c’est beau, dit comme ça – depuis qu’Annie et moi vivons sur la Côte-Nord. Notre amitié remonte à l’Université. Nous étions ensemble au baccalauréat en histoire, à Sherbrooke. Après avoir abandonné la maîtrise, il a obtenu son diplôme en soins préhospitaliers d’urgence, au cégep.
Il a longtemps travaillé sur le chantier du nouveau pont Champlain en tant que secouriste. Son parcours professionnel est assez irrégulier, mais ce n’est pas de cela dont j’ai envie de parler. Là où je veux en venir, c’est que Neph aime écrire. Il écrit des nouvelles et des pièces de théâtre. Il a aussi publié des romans à compte d’auteur. Il a une discipline de travail artistique assez blindée que j’admire. Je l’ai vu le matin de son mariage, encore couché dans son lit, sans ses lunettes, plongé dans son carnet de notes, à consigner les idées qui lui étaient passées par la tête pendant son insomnie.
Pour son mariage, nous étions dans la famille de sa conjointe à Yautepec, au Mexique. Je vous raconterai bien un jour, étant donné que l’écrasante majorité des billets que j’ai écrits portent sur des voyages. Par contre, j’aime aussi écrire sur d’autres sujets et récemment, je discutais avec Neph de mes anciens scénarios, à l’époque où je faisais de la vidéo. Il m’a fait un compliment sur mes dialogues, qui m’a fait réaliser que j’étais peut-être plus un scénariste improvisé, qu’un réalisateur improvisé. Cette conversation avec lui m’a donné envie de retourner lire, pour m’auto-évaluer avec un critère d’analyse supplémentaire : dix ans de recul.
Un personnage, deux films
J’ai dû chercher un peu mes scénarios, parce qu’un de mes disques durs externes a rendu l’âme l’année dernière. Je n’écoute apparemment pas les conseils que je donne à tout le monde, puisque sur celui-ci se trouvait un paquet de trucs que je n’avais pas en triple sauvegarde. Mes scénarios entre autres, mais aussi tous mes articles écrits pour le défunt journal le Nord-Est/Port-Cartois. J’ai fini par tout retrouver sur OneDrive, les articles et les deux scénarios que je voulais particulièrement : … mais revenir et Frédérique et Goran.
L’héroïne est la même pour les deux histoires. Elle s’appelle Frédérique et quand je pense à elle, je vois ma belle-sœur. Elle n’a rien en commun avec Frédérique, mais c’est elle qui l’a deux fois interprétée. La première fois était pour la Course Estrie et j’en avais fait quelque chose comme un drame léger. En écrivant ma série de billets sur les dix ans de ma participation à cet événement, je n’ai même pas été capable de réécouter ce film de cinq minutes. J’ai un blocage psychologique sur le court métrage, mais pas sur le texte. J’en étais pourtant si fier. C’est l’histoire d’une jeune femme qui revient d’un long voyage et qui doit se rendre à St-Adrien, son village natal, pour un événement familial. Il y avait peu de dialogues et les motivations des personnages étaient laissées à l’interprétation du public.
Je ne disais pas d’où revenait mon héroïne, ni combien de temps elle était partie. Je ne disais rien de l’événement qui, se tenant à l’église, pouvait facilement être un mariage, ou des funérailles. Je n’expliquais pas les liens entre le curé du village et la famille de Frédérique. Globalement, je ne disais pas grand-chose et je crois que l’ensemble a fortement déplu.
Irritants
Après lecture, je réalise que j’aime encore mon histoire, mais j’ai soulevé quelques problèmes. Est-ce que j’aurais pu mieux développer mes personnages? Est-ce que j’aurais pu mieux choisir mes symboles? Est-ce que j’aurais pu mieux guider le public?
À ces trois questions, je réponds oui. Mon curé était un personnage bourré de potentiel, interprété par un homme plein de charisme. Je lui ai donné à peine quelques répliques. Maxime était un superbe antagoniste, joué par un acteur expérimenté. J’en ai fait un type ennuyeux, qui bouffe des bonbons dans son gros «pickup». Ils auraient pu aider Frédérique à se remettre en question de façon beaucoup plus efficace et tant qu’à y être, Maxime aurait pu le faire consciemment, pas seulement dans l’imagination de l’héroïne. D’un autre côté, j’ai été retenu par la peur de tomber dans les constats simplets sur la vie et ses épreuves. En évitant à tout prix que mes personnages secondaires en fassent trop pour l’héroïne, ils ont fini par ne pas en faire assez.
Tout est resté symbolique et je réalise que j’ai laissé trop de place à l’interprétation, ce qui n’est pas à mon avantage pour l’image conservatrice que je renvoie. Je donne l’impression de faire la promotion de valeurs religieuses, alors que j’aime les églises pour leur architecture, leur beauté artistique, leur place dans l’histoire rurale des Cantons-de-l’Est, mais pas pour un message dévot quelconque. Je donne l’impression de mettre en scène des personnages immuables, sur lesquels mon héroïne se heurte. Maxime refuse l’idée de vivre ailleurs. Le curé n’a jamais essayé d’arrêter de fumer. Si ces deux détails se perdaient dans un film un peu plus long, ça ne serait pas si mal. Mon problème est que j’ai consciemment accordé de l’importance à ces deux images, qui peuvent facilement être perçues comme des métaphores.
Toutefois, c’est l’interprétation que je fais, dix ans plus tard. William de la Course Estrie 2009 en a tiré des conclusions bien différentes. Voici ce qu’il en a pensé en réécoutant le court métrage récemment :
- J’ai compris que tout le monde avait un point fixe et un point de rotation. Frédérique ne semble pas avoir les siens. Maxime a ses bonbons sûres et aime rester chez lui et vivre partout quand même. Le curé, rassembleur, mais avec son mini péché (acceptation, résilience... un petit vice au sein d’une vie chaste). Je comprends que Frédérique cherche dans ses racines ce qu'elle ne trouve pas encore dans ses voyages. Ton film est posé. Il ne nous inonde pas. Il nous fait réfléchir avec quelques bons liens entre les trois personnages qu'on effleure, qui sont un aspect de la personnalité de Frédérique. Le curé, avec son «j'ai jamais essayé», confronte l’héroïne qui n'a pas encore essayé de vivre à St-Adrien.
J’ai malgré tout le sentiment d’induire le public en erreur sur mes intentions en tant qu’auteur – je me la pète avec ce titre. J’aurais pu mieux orienter le récit selon mes intentions en développant mes personnages, à travers des dialogues plus nombreux et mieux travaillés. Sans compter que mon actrice et ses deux collègues auraient certainement apprécié avoir plus de répliques à s’échanger. Même en faisant les auditions et les pratiques, nous aurions eu plus de matière à travailler.
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https://route138.blogspot.com/2020/02/frederique-partie-2.html
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