Gaspésie 1996 – Partie 1



L’année 2021 marque le 25e anniversaire de mon premier voyage en auto-stop. C’est pourquoi pendant les trois prochains mois, je vais publier des billets sur mes aventures de ce genre, que j’ai fait entre 1996 et 2002. 

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Adolescent, j’étais un peu comme tout le monde : insécure, maladroit, laid. J’avais un ami plus vieux avec qui j’aimais beaucoup discuter. C’était le frère d’une copine que j’ai eu pendant quelques mois. Il avait 21 ans et aucun problème de confiance en lui. Lorsqu’il parlait, j’avais le sentiment qu’il savait tout de tout. Aujourd’hui il m’énerverait, mais à 15 ans j’étais un excellent public. J’affectionnais tout particulièrement un de ses récits, dans lequel il racontait son périple en auto-stop au Mexique. Chaque fois qu’il relatait un épisode de ce voyage, je partais dans une bulle et je m’imaginais en train de l’imiter. N’étant pas assez vieux, ni courageux pour me lancer dans pareille aventure et dans pareil pays, je pensais commencer par le Québec.

Mon ami m’encourageait fortement et c’est finalement la Gaspésie que j’ai choisi. Le seul problème est que j’étais mineur et mes parents ne voulaient pas que je parte seul sur la route. J’aurais pu être sournois et tout simplement ne pas leur dire, m’inventer un séjour chez des amis et faire un petit tour dans l’Est-du-Québec, mais j’étais trop pleutre même pour faire une chose pareille. J’ai décidé d’attendre. J’y ai pensé pendant deux ans. J’ai même fait un très mauvais monologue sur le sujet en art dramatique. Une fois au cégep, ce n’était plus le temps, puisque mon horaire était partagé entre le travail et les études – lire amis. 

En janvier 1996, j’ai fait… j’ai eu… enfin tout tourne autour d’une mononucléose, qui m’a servi d’excuse pour abandonner le cégep. Ma première session avait été catastrophique avec cinq échecs sur une possibilité de six et je n’aurais pas été capable de me reprendre. J’avais trop d’efforts à fournir et comme mon secondaire s’était passé avec un minimum d’investissement, je n’étais pas préparé à affronter un programme collégial. J’ai laissé tomber pour me soigner et dès que j’ai pu, j’ai repris le travail à temps partiel comme plongeur, à la Grosse Pomme de Magog. 

Lorsque la période estivale arriva, j’obtins le titre d’aide-cuisinier. Officiellement dans le but d’améliorer mes compétences, mais véritablement pour me prouver que j’étais capable de terminer quelque chose, j’ai décidé de m’inscrire au cours en Cuisine d’établissement, au Centre 24-Juin. Les groupes de septembre étant complets, j’allais commencer en janvier 1997. J’avais du temps devant moi. J’ai laissé passer l’été, très touristique à Magog et en octobre 1996 j’ai demandé des vacances que mon chef m’a tout de suite accordées. 



Jeudi, 10 octobre 1996
Ayant maintenant 18 ans, je vivais mes premières vacances en tant qu’adulte légal. Je n’avais plus de permission à demander. Par contre, j’étais encore très insécure. J’ai demandé à mon père de me conduire au terminus d’autobus de Sherbrooke, d’où j’ai pris un billet étudiant – ma carte du cégep était toujours valide – vers Matane, via Ste-Foy et Rimouski. Cela repoussait le moment où je serais obligé de lever le pouce. Pour ces deux correspondances, j’ignorais totalement le temps que j’avais entre les bus, la durée de chaque trajet, l’emplacement des terminus et les services disponibles aux alentours, comme l’hébergement, les restaurants, ou les épiceries. J’aurais au moins pu poser quelques questions au commis à Sherbrooke, trouver une brochure, téléphoner, peu importe. 

Je ne savais pas vraiment comment planifier un voyage et je crois que j’étais un brin insouciant. À Ste-Foy, le terminus était en rénovation et c’était le sujet principal de discussion entre les usagers. C’était la première fois que j’arrêtais dans cette ville et je ne savais même pas que ça existait avant ce jour. Tout près, il y avait un restaurant qui s’appelait Poulet du monde. J’y ai dîné. C’était bon. À Rimouski, je restais dans le même autobus, mais il fallait débarquer le temps qu’un employé fasse l’entretien du véhicule. Comme il m’était souvent arrivé à l’école, je n’avais pas compris la consigne et je me suis retrouvé dans le garage. Je suis sorti prendre un peu d’air et nous sommes repartis vers Matane. 

Il était 19 heures quand je suis arrivé à destination. Il me fallait dormir et j’ai choisi le motel la Marina, payé comptant. Je n’avais pas encore de carte de crédit. Pour souper, j’ai simplement acheté des chips, des bonbons et du chocolat dans un dépanneur tout près. 
 

Vendredi, 11 octobre 1996
Mon objectif du jour était plutôt flou. Au fond de moi j’espérais parcourir les 350 kilomètres me séparant de Percé, mais je vivais ma première expérience en auto-stop et j’avais beaucoup de mal à évaluer les distances réalisables.

En sortant de ma chambre à 7h15, je n’ai pas laissé de pourboire. Je ne savais pas qu’il fallait le faire. Le motel se trouvait au bord du fleuve. J’ai pris quelques photos du lever de soleil avec mon Chinon focus free. Cet appareil avait une excellente constance, toutes les photos étaient floues. J’ai ensuite marché sur la route 132 pendant quelques minutes, avant de rassembler assez de courage pour lever mon pouce. J’étais si mal à l’aise que j’en tremblais. Ça allait pourtant être très efficace, puisqu’en cinq minutes une dame s’arrêtait. Elle m’a fait asseoir derrière, à côté d’une machine à coudre. Son siège avant était plein de sacs. Elle s’arrêtait à Ste-Anne-des-Monts. En chemin, elle a fait un petit détour pour me laisser prendre l’éolienne de Cap-Chat en photo.

Outre la dame à la machine à coudre, j’ai rencontré plusieurs personnes plus ou moins mémorables. Il y a eu un vieil homme de Marsoui qui pompait l’accélérateur. Il y a eu deux vieilles dames de Gros-Morne, que je comprenais Drummond. Il y a eu un type de Petite-Vallée, qui parlait de la fierté des gens de son patelin. Il a été si convaincant que j’ai fait une petite pause dans son village. C’est devenu le point bas de ma première journée. J’ai eu beaucoup de mal à me faire reprendre. Il y avait très peu de circulation et ceux qui passaient n’allaient pas très loin, ou m’ignoraient. J’ai marché une dizaine de kilomètres et comme j’étais très mal préparé, je n’avais rien à manger.

Je commençais à avoir faim. Sur tous ces kilomètres je n’ai remarqué aucun dépanneur, ou cantine, ou marché d’alimentation. J’ai vu un motel dans lequel il y avait un restaurant, mais il avait dû fermer avec la fin de la saison touristique. Je ne savais plus trop quoi faire quand j’ai réalisé que j’avais atteint la limite est du village. Est-ce que je devais rebrousser chemin et chercher encore un endroit où manger, ou est-ce que je continuais sur une route 132 déserte et bordée d’arbres. C’est à peu près à ce moment qu’un homme s’est enfin arrêté. Il m’a invité à manger chez lui, mais comme une araignée tissait sa toile dans son auto et qu'il n'était pas tout à fait frais du jour lui-même, j’ai préféré ne pas voir son campement.

Petite-Vallée

Je ne suis pas resté très longtemps avec lui, mais au moins ma chance a tourné. Le reste de la journée allait bien se passer et les kilomètres défilèrent. Bien avant d’arriver à Gaspé, chaque panneau indiquant le nom des villages, portait aussi le nom de Gaspé. Un de mes conducteurs m’a assuré que nous parcourions la plus grande municipalité d’Amérique du Nord, du fait d’une fusion des petites agglomérations avec la capitale régionale. Un autre de mes conducteurs réfutera cette information en citant certains exemples qu’il considérait évidents, comme New York. Après vérification, le premier avait raison, la municipalité couvre 1340 km², contre 1214 pour New York – merci Wikipédia.

Maintenant, est-ce que c’était réellement la plus grande municipalité? Cela reste à confirmer, mais la comparaison était marrante. Le même conducteur m’a aussi fait remarquer le résultat des expropriations, datant de la création du parc Forillon. En passant sur la route 197, on remarque très vite que le côté est de la chaussée, faisant partie du parc est boisé et que le côté ouest, toujours divisé en propriétés privées, est bordé de maisons.

Étonnant que je me souvienne de tous ces détails, parce que j’étais affamé. En arrivant à Gaspé, je suis allé me gaver de poulet frit dans un Dixie Lee. C'est exactement ce dont j'avais besoin puisque après une petite visite au musée de la Gaspésie, j’étais en feu. J’ai cru qu’il me restait assez de temps pour me rendre à Percé. J’ai repris la 132 à pied et en quelques minutes un biologiste en vieille Volvo familiale s’est arrêté. Il s’en allait à Chandler, 40 kilomètres après ma destination. C’était parfait.

Très sympathique, ce jeune homme m’a parlé de faune et de flore pendant tout le trajet. À un moment, il était tellement emballé en me parlant de l’ordre dans lequel les plantes poussent au bord de la mer, qu’il a fait un détour pour me montrer le phénomène. Il m’a laissé à Percé, où je me suis cherché un endroit pour dormir. Je commençais à regretter ma tente, parce que les motels à 40$ vidaient mon maigre budget de voyage et je voyais partout des endroits où squatter. Je me suis retrouvé au chic motel de la Voile. Je me suis promené dans le village un peu, mais j’avais mal aux pieds et j’étais fatigué de ma journée. J’ai acheté des cuillères en bois pour faire de la musique, une casquette orignal ridicule pour mon frère et je suis allé me coucher. 
 

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