Retourner sur la Côte

Le confinement du printemps 2020 fut un drôle de préambule à notre départ de Port-Cartier. Cela libérera tout le temps nécessaire à la préparation du déménagement, mais la situation nous donnera l’impression de quitter la Côte comme des bandits. Nous dirons adieu à bien peu de gens avant le dernier matin, dans la maison vidée de nos biens, où un matelas et quelques jouets du chien restaient éparpillés sur le plancher. Nous passerons le barrage policier de Tadoussac sans encombre puis, s’en sera fini pour nous de cette région magnifique.

C’était à la fin du mois de mai. Nous revenions dans les Cantons-de-l’Est, comme je l’ai déjà raconté dans le billet Comment je suis devenu cordonnier. Depuis, nos projets se succèdent et parfois nous bousculent. Par exemple, notre locataire de 85 ans est décédé et depuis longtemps nous pensions à récupérer quelques pièces de son grand logement. Nous n’étions pas pressés et voyions cela comme un projet à long terme.

C’était de notre part un refus flagrant de regarder la vérité en face. Depuis un peu plus d’un an que nous étions voisins, nous pouvions voir la santé du vieil homme décliner. Ce sera le virus en vogue qui aura raison de lui et se faisant, le malheureux déclenchera contre sa volonté j’en suis certain, de nouvelles rénovations. Comme la maison est une série d’agrandissements s’étalant sur l’ensemble du vingtième siècle, les surprises sont fréquentes et chacune d’elles prolonge les travaux.

Nous remettons le tout à notre goût, tout en nous rapprochant des normes modernes de la construction. Tout le temps que cela nous prend ne nous laisse plus beaucoup de loisirs. Quand Annie recevra une invitation à célébrer le départ de Marie-Line, ancienne collègue de l’école secondaire de Port-Cartier, nous y verrons une bonne occasion de prendre de petites vacances. Nous allions retourner sur la Côte-Nord après plus de deux ans.

Pour avoir l’esprit tranquille, nous fermerons la cordonnerie deux jours, ce qui nous fera un long weekend de quatre jours. Nous afficherons le tout sur Internet et nous partirons de Magog tôt le vendredi 17 juin. La semaine précédant ce voyage, il sera question des travaux et du danger d’effondrement du pont Pierre-Laporte sur le site de Radio-Canada. À la lumière de tout cela nous redoutions moins la mort que des bouchons de circulation. Pour ne pas prendre de chance et pour varier un trajet fait des dizaines de fois, nous choisirons de prendre l’autoroute 40 par Trois-Rivières. Cela ne nous rallongerait que très peu et nous éviterait le «deuxième lien».

Le pont Laviolette en direction de Trois-Rivières.

Nous envisagions aussi de passer par Chicoutimi pour éviter la traverse de Baie-Ste-Catherine à Tadoussac, mais nous prendrons une chance qui s’avérera bonne. Nous attendrons quelques minutes et embarquerons sur le premier bateau qui arrivera. Les gens quittant la Côte au même moment devraient patienter beaucoup plus longtemps. Une immense file s’était formée pour l’embarquement vers Baie-Ste-Catherine et il faudrait certainement plusieurs heures à ces voitures pour passer la rivière Saguenay.

Nous remarquerons beaucoup de circulation, mais un des phénomènes de la route 138 est qu’à chaque centre important – Baie-Comeau, Sept-Îles, Hâvre-St-Pierre – il y a de moins en moins de monde. On a l’impression que ces trois villes représentent autant de frontières vers une autre Côte-Nord. La route est de plus en plus sinueuse, il y a moins de zones de dépassement et certains ponts n’ont qu’une voie. La végétation se transforme en forêt boréale et ensuite en taïga. Les villages sont de plus en plus petits et dispersés. C’est un des attraits de la région.

Pour cette fois nous n’observerons le phénomène qu’à Baie-Comeau, puisque notre destination se trouvait avant Sept-Îles. Nous ferons un dernier arrêt pour nous dégourdir à Baie-Trinité, où nous ferons quelques pas sur le sable blanc de la plage. Nous arriverons enfin à Port-Cartier après 11 heures de route. C’est Hélène, une amie et ancienne collègue d’Annie qui nous hébergera. Nous étions étrangement fébriles de remettre les pieds dans cette ville. 

La plage de Baie-Trinité.

Notre horaire était ambitieux et le samedi matin je commencerai tôt en allant faire un tour dans un certain marché d’alimentation, où je resterai une heure à discuter avec d’anciennes collègues. Cet emploi ne me manque pas. J’y apprendrai le décès prématuré, le jeudi avant notre visite à Port-Cartier, d’un membre du conseil d’administration du marché. Cet homme m’avait offert un support indéfectible du moment où je mis les pieds dans le magasin, jusqu’à ma démission. C’était un bon gars que tout le monde appréciait. J’irai voir Francis mon pote de moto pour prendre de ses nouvelles. Il me montrera sa fourgonnette avec laquelle il projette de traverser le Canada l’hiver prochain.

Pour sa part Annie rencontrera Lynda, une des secrétaires avec qui elle aimait travailler. Abonnée à la page Facebook de la cordonnerie, elle aura vu l’annonce de la fermeture pour quelques jours et elle soupçonnera notre projet de venir à Port-Cartier. Cela nous fera douter de la surprise que nous devions représenter pour Marie-Line.

Dans toutes nos années à Port-Cartier, nous écouterons beaucoup, beaucoup de films avec la fêtée. Une de ses habitudes est de toujours vouloir deviner le dénouement d’un récit. Elle le fait avec tant d’enthousiasme que son exercice transforme tout film en compétition avec elle-même. C’est assez amusant à voir et on finit par considérer la chose comme une valeur ajoutée à sa présence. Aussi abonnée à la page de notre petite entreprise, en nous voyant elle nous pointera du doigt et criera avec l’énergie que nous lui connaissons bien : «Je l’savais!»

L'épave du Lady Era a évolué depuis 2011.

Si la surprise n’était pas celle que nous espérions, nous ne pouvions nous tromper sur l’effet de notre présence chez elle. Ce fut une excellente soirée. Le dimanche nous irons chez ma tante à sa résidence de Gallix pour passer un peu de temps avec elle et mon cousin et pour profiter d’un brunch du dimanche. La dernière personne que je verrai sera mon ancien collègue Pascal, aujourd’hui directeur d’un certain marché d’alimentation. Nous discuterons pendant trois heures du passé, de l’avenir et beaucoup du présent. Peu bavard en général, Pascal est plus loquace lorsqu’il est en tête-à-tête.

Je retournai ensuite auprès d’Annie, que j’avais laissée en grande conversation avec notre généreuse hôtesse Hélène. Le lundi matin, après un peu plus de 48 heures, nous rentrions. Par amour pour notre ancienne maison, nous passerons dans le parc de maisons mobiles où elle se trouve. C’est étrange de voir un endroit où nous avons eu tant de bons moments, mais qui ne nous est plus accessible. Après ce rapide détour nous prendrons la route 138. Restés traumatisés par la file de voitures attendant de quitter la Côte lors de notre arrivée, nous choisirons de traverser la rivière Saguenay à Chicoutimi en prenant la route 172 à partir de Tadoussac et ensuite la route 175 jusqu’à Québec.

La route 172 ne m’avait jamais fait bonne impression lorsque je l’avais empruntée par le passé. C’était toujours des journées grises de printemps. Cette fois les feuillus garnis et le ciel bleu ont changé ma vision de ce tronçon. On voit très peu la rivière Saguenay, mais nous suivions le cours d’une très belle rivière Ste-Marguerite, plus petite que la Ste-Marguerite qui se trouve entre Port-Cartier et Sept-Îles.


Une fois à Chicoutimi, dès que nous empruntons le pont Dubuc sur la rivière Saguenay, nous sommes sur la route 175 et il suffit de traverser le centre-ville pour se diriger vers Québec. Nous arrêterons dîner au restaurant, le chic Burger King, chose que nous ne faisions jamais. Nous préférions le côté économique des sandwichs faits à la maison, que nous pouvions manger en roulant. La route 175 nous impressionnera. Bien entretenue, rapide et bordée de paysages magnifiques, nous nous étions toujours refusés à emprunter cette voie qui au final représente 100 kilomètres de plus, mais se fait aussi rapidement – ou lentement, c’est selon.

Parcourir cette distance nous a fait réaliser que nous n’avons plus le courage d’affronter autant de route plusieurs fois par année. C’est un superbe trajet, mais qui serait beaucoup plus agréable divisé par une nuit d’hôtel quelque part à mi-chemin. J’ai plusieurs fois formé le projet de retourner à Port-Cartier en moto, mais je ne pourrais le faire en une journée. Une course aller-retour comme nous avons fait n’est agréable ni en auto, ni en moto. J’ai une théorie sur les voyages de ce genre et elle s’est reconfirmée pendant ce séjour sur la Côte-Nord : il y a toujours 10% d’un trajet qui est de trop, qu’il dure une heure ou dix.

La route 175


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