Philippe - Partie 1


J'ai écrit cette série de textes pour mon oncle Philippe, qui vit avec l'épilepsie depuis plus de 75 ans. J'ai choisi de raconter son histoire à la première personne parce que même si c'est moi qui écrit, c'est lui qui raconte. Bonne lecture.

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Partie 1

Depuis bientôt 75 ans que je vis avec l’épilepsie, je ne sais plus combien de fois j’ai été jugé et rejeté. J’ai côtoyé des gens qui m’ont nuit, souvent par ignorance ou parce qu’ils avaient peur de mon étrange mal. Moi-même effrayé, comment est-ce que j’aurais pu leur faire comprendre ce que je vivais.

Par chance, j’ai aussi été encouragé et soutenu par ma famille et mon admirable épouse Thérèse, mais aussi par des inconnus dont la générosité de cœur me touche encore aujourd’hui. Malgré toutes les fois où une personne m’a tendu la main pour m’aider, je n’étais pas préparé à la requête de ma nouvelle neurologue :

– Philippe, vous allez tout me raconter, depuis le début, me dit la jeune femme.

– Tout? Depuis le début? Ça pourrait être long, j’ai 84 ans, lui répondis-je.

– Si vous voulez que je vous offre de bons soins, je dois savoir le « comment », le « pourquoi » et tant qu’à y être, je veux connaître tout le reste.

Je me suis dit : « Bon et pourquoi pas? »

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Je suis né en 1940 à Chartierville, un minuscule village des Cantons-de-l’Est, haut perché dans les Appalaches canadiennes, tout près de la frontière avec le New Hampshire. J’étais le cinquième d’une famille qui n’avait pas fini de grandir. Ma mère s’appelait Kilda, un nom de guerrière assurément. Elle accoucha douze fois et un garçon mourut à la naissance. Toutes mes sœurs et tous mes autres frères survivront à mes parents.

Avant ma naissance, mes parents s’occupèrent de la beurrerie du village quelques années, puis ils s’installèrent sur la ferme voisine de mes grands-parents paternels. Ma mère s’occupait de nous et gérait les finances familiales. Pendant la saison froide, mon père Ulric partait pour les chantiers de bûcherons. Parfois situés au Canada, comme à St-Adrien-de-Ham, parfois aux États-Unis, comme dans le New Hampshire voisin, ces chantiers étaient éloignés et mon père pouvait être parti des mois durant. Il faisait la cuisine pour les travailleurs.

Quand il revenait, il sollicitait l’aide de mes frères et moi pour remettre de l’ordre, entretenir l’équipement et retaper les bâtiments pour le trop court été qui arrivait. Mes parents nous le cachaient bien parce que nous ne manquions de rien, mais nous vivions dans la pauvreté. Cela se ressentait dans des détails comme porter les vêtements qui ne font plus aux aînés, le manque de variété aux repas ou le fait que nous n’avions que très peu d’outils. C’est ainsi qu’un printemps, lorsque j’avais neuf ou dix ans, j’aidais mon père dans le garage.

– Va chercher le marteau dans la grange, c’est ton frère Yvon qui l’a, me dit mon père.

Je me rendis à la grange et ne voyant pas mon frère, je criai par une fenêtre ouverte que nous avions besoin du marteau. Mon frère, sans raison autre que de vouloir gagner du temps, lança le marteau par l’ouverture. C’est là que tout a commencé. Je reçu le marteau au front et je m’effondrai. Je repris conscience dans les bras de mon père, quelques instants après l’accident. Il me ramenait vers la maison.

J’essayais de lui dire que je pouvais marcher, mais il fit la sourde oreille et me porta jusque dans la maison, où ma mère nettoya le sang que j’avais sur le visage avec de l’eau froide. Ce fut tout ce que je reçu comme soins. Mes parents n’envoyèrent pas chercher le médecin au village voisin. Les crises d’épilepsie commencèrent dès la nuit suivante.

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