J'ai écrit cette série de textes pour mon oncle Philippe, qui vit avec l'épilepsie depuis plus de 75 ans. J'ai choisi de raconter son histoire à la première personne parce que même si c'est moi qui écrit, c'est lui qui raconte. Bonne lecture.
Si vous n'avez pas lu la première partie, cliquez ici.
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Partie 2 - Déclin
Les crises pouvaient se manifester à tout moment, bien qu’elles me paraissaient pires la nuit. Mes frères et sœurs, effrayés, courraient avertir mes parents quand je tombais. Je me souviens que mon petit frère Robert, ne sachant pas encore parler, trouvait le moyen de se faire comprendre par ma mère.
J’inquiétais mon entourage avec ce mal étrange. Tous se demandaient quand je ferais une autre crise, si j’allais me blesser en tombant ou pire, est-ce qu’un de ces épisodes allaient m’être fatal. Nous ne savions rien. À l’école, les crises ont d’abord surpris et les sœurs enseignantes croyaient qu’elles étaient causées par de la mélancolie. Il ne leur faudra pas bien longtemps pour croire que je cherchais plutôt à attirer l’attention. Je suis devenu la cible de railleries et les autres écoliers me traitèrent « d’attardé », terme vulgaire pour désigner une personne avec une déficience intellectuelle.
Mon frère Jean-Pierre, ayant un tempérament plus sanguin que les autres, ne laissait pas les gens médire à mon sujet. Il en est venu aux poings à quelques reprises. Une de mes cousines, Monique, interviendra aussi à sa façon, lorsque me relevant d’une de mes crises, je la vis debout, faisant face à la classe pour se porter à ma défense en disant aux autres écoliers : « Laissez le donc tranquille! ».
Aujourd’hui encore, je me sens reconnaissant de son intervention, mais ça n’empêchera pas mes parents de me retirer de l’école, où je terminais difficilement ma quatrième année. Ma mère espérait pouvoir garder un œil sur moi. De plus, mes études commençaient à accuser du retard à cause de mes absences répétées.
Je m’absentais souvent pour aller à l’Hôtel-Dieu, à Sherbrooke. Il fallait plus de trois heures pour aller et revenir de cet hôpital. Une de mes grandes sœurs, Estelle, y faisait ses études pour devenir infirmière. C’est pour cette raison que ma mère préférait cet établissement. On m’y a retiré les amygdales et l’appendice, mais c’est surtout à cause de l’épilepsie que je m’y rendais. Je recevais des traitements ou plutôt, je subissais des expériences. Il n’y avait pas que mes parents qui ne comprenaient pas ce qui m’arrivait, les médecins semblaient tout aussi démunis devant ma condition.
Ils m’ont radiographié de long en large, sans les protections nécessaires. Mon corps a reçu des doses de radiation qui, j’en reste aujourd’hui persuadé, m’ont empêché d’avoir des enfants. Une autre fois que je revenais de Sherbrooke, ma mère s’exclama en me voyant :
– Veux-tu bien me dire ce qu’ils t’ont fait là-bas ?
– Je ne sais pas, pourquoi ? Lui répondis-je.
– Ils t’ont tout brûlé les cheveux !
Les médecins m’avaient installé des électrodes sur la tête et ça m’avait brûlé les cheveux par endroit. C’est ce traitement qui, je crois, m’a grillé les glandes lacrymales, parce que depuis cette époque, je n’ai plus été capable de verser une larme. Le seul bénéfice que je retiens de toutes mes visites à l’hôpital, c’est lorsqu’un médecin me dit que je devais passer le plus de temps possible au grand air. Je devais m’oxygéner, respirer à fond. C’est le seul remède qui m’a été bénéfique et ce n’est pas le docteur de La Patrie, le village voisin de Chartierville, qui me l’a prescrit.
C’est lui que mes parents consulteront d’abord. Sa démarche scientifique était louche, mais un peu comme personne ne discutait l’autorité du curé de la paroisse, nul ne remettait en question les méthodes d’un docteur. Ce n’est qu’avec le recul que je peux dire à quel point cet homme m’a fait du tort. Par exemple, il décida un jour que pour me guérir, il suffisait de m’arracher toutes les dents. J’avais déjà la réputation d’être l’idiot du village. Sans une dent dans la bouche, j’en avais maintenant l’apparence. Ce médecin était un homme mauvais qui convainquit ma mère que pour mieux me soigner, je devais me rendre à son cabinet avec mon frère Marcel, qu’il mettait à nu pour son plaisir.
Avec pareils traitements, ma situation ne s’améliorait pas et mes parents, devant l’absence de résultat, ne savaient plus quoi faire pour m’aider. Ce sont les sœurs enseignantes du couvent du village qui suggérèrent une solution. Elles connaissaient une congrégation religieuse spécialisée dans la culture des fruits, qui offrait aux jeunes vivant avec une déficience intellectuelle ou un handicap physique, un travail et un maigre salaire. Cela semblait une excellente option et me permettait d’être surveillé et soigné.
On m’y envoya et j’y passai environ un an et demi. Au début ce n’était pas si mal. C’était comme si on m’apprivoisait, pour ne pas m’effaroucher. Après la période d’acclimatation, j’allais réaliser que la surveillance et les soins étaient envahissants. Pour nous, les pensionnaires, le dimanche était le seul moment de répit parce que c’était le « Jour du Seigneur », le jour où les moines se confessaient pour leurs écarts de la semaine qui venait de se terminer. Le reste du temps nous devions courir vite et faire preuve d’imagination pour nous cacher d’eux. Ils abusaient de nous impunément. Je vivais là un perpétuel cauchemar et pour me sentir encore plus loin de chez moi, j’y appris le décès de mon grand-père paternel, Wilfred.
J’avais toujours eu l’impression de vivre une relation privilégiée avec lui. Il m’appelait affectueusement son « Ti-blanc à Pépère ». J’étais le seul, à ma connaissance, à qui il avait donné un surnom. Je ne pus assister à ses funérailles. Je détestais cet endroit qui me privait de ma liberté et de ma famille. Je repensais à ma cousine, faisant face à la classe pour prendre ma défense. Si elle pouvait le faire, pourquoi est-ce que je ne pouvais pas me lever et me défendre?
Sans le savoir, ma cousine avait fait éclore une chose qui sommeillait en moi : la détermination. J’écrivis à ma mère et sans lui expliquer en détail ce qui se passait, je lui fis comprendre que si elle ne venait pas me chercher dans les plus brefs délais, je rentrerais à Chartierville à pied. Mes parents étaient bons avec leurs enfants. Ils vinrent, sans poser de question.
À mon retour auprès des miens, le docteur de La Patrie était à cour d’idée et il suggéra à mes parents d’attendre ma majorité pour m’inscrire à l’aide sociale, qu’on appelait à l’époque le welfare. Je connaissais les préjugés reliés à cet état et je ne voulais pas y être associé, en plus de tout le reste. Je commençai par demander à mes parents de me laisser prendre soin de la ferme et des autres tâches autour de la maison.
À ce moment, j’avais 15 ans. Mes frères et sœurs plus âgés approchaient de la majorité et étaient de moins en moins présents. Les autres qui restaient, privilégiaient tous leurs études ou étaient trop jeunes pour aider efficacement mes parents. Mon offre était donc intéressante et me donnait l’occasion de travailler à l’extérieur. Mon père partirait l’esprit tranquille sur les chantiers et ma mère serait libérée de nombreuses tâches.
Cette entente dura quelques années. J’apprenais à vivre avec ma condition et je me connaissais mieux. Je devinais l’arrivée des crises avec des signes avant coureur. Je restais conscient et me contrôlais de plus en plus pendant qu’elles se produisaient. Je pouvais conduire le tracteur sans inquiétude, puisque j’avais le temps d’arrêter mes activités, le temps de retrouver toutes mes facultés. Je ne me considérais plus comme un danger pour les autres, ni pour moi.
C’est dans ces conditions que, voyant la majorité approcher, je repensais à ce qui m’attendait : le welfare. Inspiré par ma mère qui nous y encourageait et par mes aînés qui y étaient déjà, je songeais à m’expatrier aux États-Unis. Je demandai à mes parents de m’aider à obtenir les documents nécessaires et je suis parti, là où ma réputation ne pouvais pas me suivre.
J’inquiétais mon entourage avec ce mal étrange. Tous se demandaient quand je ferais une autre crise, si j’allais me blesser en tombant ou pire, est-ce qu’un de ces épisodes allaient m’être fatal. Nous ne savions rien. À l’école, les crises ont d’abord surpris et les sœurs enseignantes croyaient qu’elles étaient causées par de la mélancolie. Il ne leur faudra pas bien longtemps pour croire que je cherchais plutôt à attirer l’attention. Je suis devenu la cible de railleries et les autres écoliers me traitèrent « d’attardé », terme vulgaire pour désigner une personne avec une déficience intellectuelle.
Mon frère Jean-Pierre, ayant un tempérament plus sanguin que les autres, ne laissait pas les gens médire à mon sujet. Il en est venu aux poings à quelques reprises. Une de mes cousines, Monique, interviendra aussi à sa façon, lorsque me relevant d’une de mes crises, je la vis debout, faisant face à la classe pour se porter à ma défense en disant aux autres écoliers : « Laissez le donc tranquille! ».
Aujourd’hui encore, je me sens reconnaissant de son intervention, mais ça n’empêchera pas mes parents de me retirer de l’école, où je terminais difficilement ma quatrième année. Ma mère espérait pouvoir garder un œil sur moi. De plus, mes études commençaient à accuser du retard à cause de mes absences répétées.
Je m’absentais souvent pour aller à l’Hôtel-Dieu, à Sherbrooke. Il fallait plus de trois heures pour aller et revenir de cet hôpital. Une de mes grandes sœurs, Estelle, y faisait ses études pour devenir infirmière. C’est pour cette raison que ma mère préférait cet établissement. On m’y a retiré les amygdales et l’appendice, mais c’est surtout à cause de l’épilepsie que je m’y rendais. Je recevais des traitements ou plutôt, je subissais des expériences. Il n’y avait pas que mes parents qui ne comprenaient pas ce qui m’arrivait, les médecins semblaient tout aussi démunis devant ma condition.
Ils m’ont radiographié de long en large, sans les protections nécessaires. Mon corps a reçu des doses de radiation qui, j’en reste aujourd’hui persuadé, m’ont empêché d’avoir des enfants. Une autre fois que je revenais de Sherbrooke, ma mère s’exclama en me voyant :
– Veux-tu bien me dire ce qu’ils t’ont fait là-bas ?
– Je ne sais pas, pourquoi ? Lui répondis-je.
– Ils t’ont tout brûlé les cheveux !
Les médecins m’avaient installé des électrodes sur la tête et ça m’avait brûlé les cheveux par endroit. C’est ce traitement qui, je crois, m’a grillé les glandes lacrymales, parce que depuis cette époque, je n’ai plus été capable de verser une larme. Le seul bénéfice que je retiens de toutes mes visites à l’hôpital, c’est lorsqu’un médecin me dit que je devais passer le plus de temps possible au grand air. Je devais m’oxygéner, respirer à fond. C’est le seul remède qui m’a été bénéfique et ce n’est pas le docteur de La Patrie, le village voisin de Chartierville, qui me l’a prescrit.
C’est lui que mes parents consulteront d’abord. Sa démarche scientifique était louche, mais un peu comme personne ne discutait l’autorité du curé de la paroisse, nul ne remettait en question les méthodes d’un docteur. Ce n’est qu’avec le recul que je peux dire à quel point cet homme m’a fait du tort. Par exemple, il décida un jour que pour me guérir, il suffisait de m’arracher toutes les dents. J’avais déjà la réputation d’être l’idiot du village. Sans une dent dans la bouche, j’en avais maintenant l’apparence. Ce médecin était un homme mauvais qui convainquit ma mère que pour mieux me soigner, je devais me rendre à son cabinet avec mon frère Marcel, qu’il mettait à nu pour son plaisir.
Avec pareils traitements, ma situation ne s’améliorait pas et mes parents, devant l’absence de résultat, ne savaient plus quoi faire pour m’aider. Ce sont les sœurs enseignantes du couvent du village qui suggérèrent une solution. Elles connaissaient une congrégation religieuse spécialisée dans la culture des fruits, qui offrait aux jeunes vivant avec une déficience intellectuelle ou un handicap physique, un travail et un maigre salaire. Cela semblait une excellente option et me permettait d’être surveillé et soigné.
On m’y envoya et j’y passai environ un an et demi. Au début ce n’était pas si mal. C’était comme si on m’apprivoisait, pour ne pas m’effaroucher. Après la période d’acclimatation, j’allais réaliser que la surveillance et les soins étaient envahissants. Pour nous, les pensionnaires, le dimanche était le seul moment de répit parce que c’était le « Jour du Seigneur », le jour où les moines se confessaient pour leurs écarts de la semaine qui venait de se terminer. Le reste du temps nous devions courir vite et faire preuve d’imagination pour nous cacher d’eux. Ils abusaient de nous impunément. Je vivais là un perpétuel cauchemar et pour me sentir encore plus loin de chez moi, j’y appris le décès de mon grand-père paternel, Wilfred.
J’avais toujours eu l’impression de vivre une relation privilégiée avec lui. Il m’appelait affectueusement son « Ti-blanc à Pépère ». J’étais le seul, à ma connaissance, à qui il avait donné un surnom. Je ne pus assister à ses funérailles. Je détestais cet endroit qui me privait de ma liberté et de ma famille. Je repensais à ma cousine, faisant face à la classe pour prendre ma défense. Si elle pouvait le faire, pourquoi est-ce que je ne pouvais pas me lever et me défendre?
Sans le savoir, ma cousine avait fait éclore une chose qui sommeillait en moi : la détermination. J’écrivis à ma mère et sans lui expliquer en détail ce qui se passait, je lui fis comprendre que si elle ne venait pas me chercher dans les plus brefs délais, je rentrerais à Chartierville à pied. Mes parents étaient bons avec leurs enfants. Ils vinrent, sans poser de question.
À mon retour auprès des miens, le docteur de La Patrie était à cour d’idée et il suggéra à mes parents d’attendre ma majorité pour m’inscrire à l’aide sociale, qu’on appelait à l’époque le welfare. Je connaissais les préjugés reliés à cet état et je ne voulais pas y être associé, en plus de tout le reste. Je commençai par demander à mes parents de me laisser prendre soin de la ferme et des autres tâches autour de la maison.
À ce moment, j’avais 15 ans. Mes frères et sœurs plus âgés approchaient de la majorité et étaient de moins en moins présents. Les autres qui restaient, privilégiaient tous leurs études ou étaient trop jeunes pour aider efficacement mes parents. Mon offre était donc intéressante et me donnait l’occasion de travailler à l’extérieur. Mon père partirait l’esprit tranquille sur les chantiers et ma mère serait libérée de nombreuses tâches.
Cette entente dura quelques années. J’apprenais à vivre avec ma condition et je me connaissais mieux. Je devinais l’arrivée des crises avec des signes avant coureur. Je restais conscient et me contrôlais de plus en plus pendant qu’elles se produisaient. Je pouvais conduire le tracteur sans inquiétude, puisque j’avais le temps d’arrêter mes activités, le temps de retrouver toutes mes facultés. Je ne me considérais plus comme un danger pour les autres, ni pour moi.
C’est dans ces conditions que, voyant la majorité approcher, je repensais à ce qui m’attendait : le welfare. Inspiré par ma mère qui nous y encourageait et par mes aînés qui y étaient déjà, je songeais à m’expatrier aux États-Unis. Je demandai à mes parents de m’aider à obtenir les documents nécessaires et je suis parti, là où ma réputation ne pouvais pas me suivre.
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