Les ruelles de Kathmandu
Nous avons passé une journée simple, mais pas tellement reposante en raison des kilomètres marchés. Après le déjeuner, nous sommes sortis pour aller acheter quelques trucs que nous voulions rapporter en souvenir et quelques trucs que nous voulions rapporter en cadeau. Nous avions l’intention d’aller voir Sanjay, comme nous lui avions promis.
Notre marche nous a fait passer devant le bureau des pensions militaires, où Annie m’a pris en photo devant le portique. Nous sommes passés par Thamel pour nous rendre jusqu’au quartier commercial des locaux, en passant par le carrefour Asan, où rappelons-nous, il y a six rues qui se rejoignent. Une fois à cette intersection, nous ne sommes plus dans la zone touristique.
C’est un endroit que nous aimons beaucoup avec les vieilles dames qui vendent du poisson séché, ou des légumineuses, des jeunes avec des sacs de barbe à papa, des hommes à vélo qui vendent des fruits, aucun guide improvisé pour vous offrir leurs services, une cabane pour les policiers, peu de voiture, mais beaucoup de motos. De là, nous nous sommes engagés dans quelques ruelles qui nous semblaient intéressantes. Beaucoup de boutiques étaient encore fermées et nous nous sommes retrouvés plus vite que prévu à la limite sud de la zone commerciale, le grand boulevard appelé New Road.
Nous avons remonté vers le nord par le boulevard Kanti, parce que nous savions que nous pourrions retourner dans les ruelles un peu plus loin. La fin de semaine était bien terminée et la circulation était revenue à la normale. Nous sommes passés devant l’hôpital militaire et juste à côté, c’était l’hôpital civil. Nous avons vu le Ranipokhari, ou étang de la reine, qui a déjà été un très beau monument de la ville. C’était un petit temple blanc au milieu d’un lac artificiel, que l’on pouvait rejoindre par un long pont. La construction originale remonte au 17e siècle. Là où il y avait de l’eau, c’est maintenant un grand terrain vague avec des déchets partout. Le pont qui était d’un blanc impeccable est en train de devenir noir. Le petit bâtiment s’est écroulé pendant le tremblement de terre de 2015 et le site est inaccessible aux visiteurs. À vrai dire, l’endroit est un peu sinistre.
Nous avons photographié Ranipokhari à partir d’un passage pour piéton, qui était situé devant une rue où il y avait des marchands en train de s’installer. C’est par là que nous sommes retournés dans le dédale de ruelles. Nous avons eu un peu de mal à nous retrouver. Nous nous croyions invincibles après les souks de Marrakech, mais apparemment les ruelles de Kathmandu sont plus compliquées, ou nous sommes simplement moins réceptifs aux indices. Nous ne nous perdons pas vraiment, nous avons toujours la boussole. Pour retourner à l’hôtel, nous n’avons qu’à trouver le nord et nous tomberons éventuellement sur un lieu connu.
C’est la journée où nous avons le plus tourné en rond. Dans nos déambulations, nous sommes entrés dans un bâtiment où il y avait plusieurs boutiques. Un homme très fier disait à tous les gens de venir voir chez lui. Dans son assiette d’offrandes du matin, il avait écrasé un rat avec le pied. La bête agonisait, déformée, tout en essayant de repartir. Un rat est un rat et j’imagine que de les voir tout le temps dans vos provisions, vos entrepôts, vos caves, vous rend insensible à leur sort. Notre problème est que nous ne sommes pas habitués à contempler la souffrance, même celle de la vermine.
Nous sommes repartis. Nous avons trouvé un temple que nous n’avions jamais vu. Il y avait là des femmes qui vendaient du maïs pour attirer les pigeons. Je trouvais encore l’idée mauvaise. Nous avons fait le tour et tout près, nous avons trouvé des «butter lamps», ces petites coupes en terre cuite dans lesquelles ils mettent une mèche et un corps gras pour en faire une bougie. Elles coûtaient deux roupies chacune. Il y avait un vieil itinérant assis à côté de la statue d’un dieu. Il y en a souvent autour des lieux sacrés. Il nous a dit Namaste.
Le Namaste est assez universel et on nous l’a adressé des milliers de fois. Nous l’avons aussi très souvent utilisé. Les enfants le font beaucoup volontairement et sinon, c’est qu’ils sont encore trop jeunes pour y penser. Dans ce cas, les parents les encouragent d’une parole et les petits s’exécutent. Les adultes qui nous regardent un peu trop sérieusement, s’illuminent quand nous prenons le temps de leur dire en joignant nos mains en prière. Les gens qui nous accueillent dans les boutiques le font toujours par ce mot.
J’ai eu un peu de mal à m’en servir quand nous avons voulu nous acheter un sel roti dans un restaurant, parce que les cuisiniers ne me regardaient pas du tout. C’est une femme assise à une table qui a finalement pris l’initiative de nous servir nos rondelles de pâte frite. Elles étaient plus chères qu’à côté de l’hôtel, mais elles sortaient de leur bain d’huile.
Nous les avons mangés un peu plus loin, devant un autre temple. Je me demande s’il y a un décompte précis du nombre de bâtiments religieux dans la capitale. Le sel roti devait nous faire tenir le temps que nous passions voir Sanjay, mais comme il n’était pas à sa boutique, nous sommes allés manger au B.K., où il y a des bonnes frites. C’était la troisième fois que nous y allions et nous avons essayé un troisième met pour accompagner les frites : le pakoda végétarien.
C’est une petite boule de légumes hachés aux épices masala, enrobée d’une panure de farine et cuite dans l’huile. C’était délicieux et bien meilleur que leurs samosas aux patates. Nous avons avalé notre repas un peu trop vite et nous sommes retournés à l’hôtel en rotant, pour prendre une petite pause.
Sur la terrasse du Rising Home, les deux patrons étaient en train de manger des assiettes de riz qui auraient gêné mon beau-frère Carl. Nous en avons profité pour nous prendre en photo avec eux. J’ai donné mon appareil au réceptionniste. En entrant, c’était le tour du réceptionniste et de son collègue cuisinier-concierge. Annie s’est placée avec eux et j’ai pris la photo. Ils ont tous adopté une pose sérieuse, mais ils étaient tous contents de se plier à notre demande. Le petit patron, qui a l’attitude de Joe Pesci dans Mon cousin Vinny, a demandé au réceptionniste de prendre une photo de plus avec son cellulaire.
Une fois les quelques achats du matin déposés, nous sommes retournés pour trouver une statuette de Bouddha qu’Annie voulait. C’est le Bouddha qui se repose. Le premier endroit où elle en avait vu à son goût n’en avait plus. Toutes les autres boutiques où nous avions cherché ne l’avaient pas. C’était notre premier objectif de l’après-midi.
La statuette que nous avons enfin trouvée était un peu grosse, mais le prix était intéressant. Pour essayer de faire une autre vente, le jeune commis a commencé à expliquer à Annie, la différence entre un bol chantant et un bol soignant. J’aurais bien écouté, mais le patron qui m’avait demandé d’où nous venions, m’a montré un courriel du consulat canadien à New Delhi, qui lui apprenait que sa demande de visa lui avait été refusée. Il voulait savoir pourquoi et m’a fait lire le message pour lui interpréter. Je ne savais pas trop quoi lui dire. Il était clairement écrit qu’il n’avait pas adéquatement payé les frais pour la demande, mais il m’assurait du contraire. Je lui ai dit que je vendais des brocolis dans un marché d’alimentation et que son besoin actuellement, était un touriste canadien avocat.
Je pense qu’il ne réussira pas à aller à sa conférence à Vancouver. En sortant de chez cet homme, nous nous sommes dirigés vers le magasin de Sanjay. Nous sommes passés par une ruelle que nous ne connaissions pas et y avons vu des œuvres en bois très réussies. Nous avons vu un petit atelier où des employés sculptaient l’ardoise. Nous les avons encouragés. Nous avions bien vérifié comment nous rendre, alors nous ne nous sommes pas perdus.
De plus, avec les multiples visites des derniers jours, nous commençons à reconnaître la rue quand nous y sommes. Sanjay était là cette fois. Nous l’avons à nouveau remercié pour l’excellente journée d’hier. Je lui ai demandé quelles khukris étaient faites de la main de Bhakta et il m’en a montré deux. J’ai choisi une petite lame avec le manche en bois.
Pendant que je regardais l’étalage, Annie a montré des photos de la neige à Port-Cartier. L’effet est toujours le même. Les gens ont du mal à y croire. En fouinant, j’ai vu qu’il y avait deux livres à vendre. Un portait sur les Gurkhas à travers l’histoire, l’autre portait sur leur 200e anniversaire, fêté en 2015. Je les ai tous les deux achetés. J’ai aussi pris un autre petit couteau de cinq pouces.
Sanjay a préparé lui-même les lames pour l’emballage. Nous avons pris une photo et cette fois je tenais ma nouvelle acquisition en main. Nous avions apporté un inukshuk pour lui donner. Nous lui avons expliqué la symbolique du geste. Nous lui avons aussi donné 20$US pour le déplacement et son temps de la journée précédente. Il a dit que ce n’était pas nécessaire. Nous avons insisté.
En regardant la photo du prince Harry au dessus de son comptoir, il nous a parlé de la visite du jeune homme après le tremblement de terre de 2015. Dans ses déplacements, ils partageait le quotidien des gens en dormant et en mangeant avec des familles. Son garde du corps était un Gurkha. Pour le remercier, il a reçu une khukri qui avait été commandé chez Sanjay.
J’aurais continué de parler avec Sanjay encore des heures, mais nous ne voulions pas monopoliser son temps. Nous avons pris la direction d’Asan. Dans une des rues du coin, j’avais vu un autre type de machette le matin et je voulais aller les voir de plus près. En chemin, nous avons vu une moto s’arrêter sur la queue d’un chien couché.
Le chauffeur n’a pas fait exprès et le chien était couché au milieu de la minuscule ruelle, bondée de piétons et de motos. Un peu plus loin, nous avons retrouvé le magasin. Le produit que j’avais remarqué était une machette de travail. Le genre que les Népalais achètent eux-mêmes pour les tâches quotidiennes.
Le manche en bois était grossier. La lame était bien aiguisée, mais nous ne pouvions voir l’éclat du métal qu’à un pouce du tranchant, le reste étant noirci par le traitement au feu. Même l’étui de bois n’était pas recouvert de cuir comme à l’habitude. Je suis tombé sous le charme. Je n’ai pas été agressif dans la négociation et je suis parti avec deux de ces outils.
Nous nous sommes dirigés vers l’hôtel, sans nous presser. Nous avons encore acheté de la poudre colorée servant à faire le point au milieu du front, des enveloppes, une statuette d’un joueur de sitar et d’autres cadeaux. En passant devant la réception, le cousin Vinny nous a parlé de nos nombreux achats. Nous lui avons répondu que nous nous préparions pour Noël.
Anecdotes en vrac :
Donner et prendre de l’argent à quelqu’un est un geste particulier au Népal. Il m’a fallut du temps avant de le remarquer, mais je pense que je fais maintenant la bonne chose. On tend le billet vers la personne avec la main droite et on met la main gauche sur notre flanc droit. Pour être bien certain que je ne me trompe pas, je le fais en donnant, comme en recevant de l’argent.
Le cannabis pousse dans les fossés ici. Il y a des centaines de boutiques qui vendent des produits fabriqués à partir de chanvre. Ce n’est pas pour autant légal d’en posséder à des fins récréatives. Comme partout ailleurs, il est possible de s’en procurer et ce n’est pas si difficile. En un après-midi, je m’en suis déjà fait offrir trois fois.
Lorsqu’une personne dit oui au Népal, elle ne fait pas un mouvement de la tête de haut en bas comme nous. Elle balance plutôt la tête de gauche à droite. Pour nous, le mouvement ressemble à un geste d’indécision.
Tous les Népalais nous demandent d’où nous venons et s’ils ne le font pas, ils assument automatiquement que nous sommes Français. Quand nous disons seulement que nous sommes du Canada, ils demandent de laquelle des deux villes nous venons : Vancouver, ou Toronto. Pour tenter d’éviter la confusion, j’ai commencé très tôt dans le voyage à dire que nous sommes des «French Canadians». Ça ne fonctionne pas, il pense que nous sommes des Français qui vivent au Canada. Alors j’ai pris une nouvelle habitude qui est de dire que nous sommes de la partie francophone du Canada. Annie prend alors beaucoup de plaisir à leur raconter l’arrivée de Jacques Cartier.
Pour lire la suite de ce voyage :
2018-12-04 - Les yeux de tigre
2018-12-05 et 2018-12-06 - 35 heures et 57 minutes