Dans ce billet je ne parle pas de Kegaska, mais plutôt du cadre théorique que je m’étais choisi pour ma maîtrise et qui m’a donné tant de mal.
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L’ancien maire de Blanc-Sablon Anthony Dumas a dit que «la Basse-Côte-Nord est mieux connue en Europe qu’au Québec». J’ai lu cette citation dans une série d’articles de Monique Durand, parue dans Le Devoir du 10 au 12 janvier 2011. C’était la première fois que je prenais conscience de cette singularité. Dernièrement j’allais réaliser que Dumas aurait pu simplement dire que la région est connue partout, sauf au Québec. À titre d’exemple, je suis tombé sur un reportage écrit en 2016 par l’Ontarien John Zada, pour la chaîne qatarie Al Jazeera. Dans ce texte, le pigiste traite de ce même «Québec du bout du monde», dont nous entendons parler seulement lorsqu’il est question du prolongement de la route 138.
Même cela vous ne le verrez dans les médias que si vous vivez sur la Côte-Nord, où le désenclavement des villages allant de la Romaine à Blanc-Sablon est un enjeu économique majeur. Pour le reste du Québec, il est facile d’oublier que des milliers de personnes de la Basse-Côte-Nord restent isolées. Ces membres de communautés culturelles diverses, assurant l’occupation d’un territoire, participant à l’économie par les mêmes impôts sur le revenu et les mêmes taxes à la consommation que le reste de la population, dépendent de transporteurs maritimes et aériens privés, devant facturer à gros prix la manutention des biens et denrées essentiels.
Évidemment, je ne pourrais passer sous silence que ces compagnies reçoivent de l’aide gouvernementale, afin d’ajuster leurs prix et ainsi, diminuer l’impact de l’isolement au moment de passer à la caisse. Cet éloignement n’a pourtant pas qu’une influence économique et en me basant sur mon billet précédent, au sujet d’un Canadien-français qui défendait sa liberté de pensée face à l’autorité religieuse, je crois que nous pouvons aussi parler d’un impact majeur sur les mentalités.
Il y a dix ans, lorsque j’étais à la maîtrise, j’aurais insisté sur le concept d’identité et non de mentalité. Cette obstination allait me confronter à un grave problème, celui de devoir définir l’identité. Parce que la question est légitime, qu’est-ce que l’identité? À prime abord la tâche me semblait facile, puisque nous avons tous une idée plus ou moins claire de ce que c’est. Après tout, nous nous identifions tous selon notre culture, notre profession, notre région, notre religion, notre sexualité et la liste peut continuer à l’infini, au gré de notre imagination. Sauf que plus il y a de possibilités, plus le risque de s’éparpiller est grand, plus les chances de faire fausse route sont nombreuses.
Ne sachant toujours pas de quoi je parle – oui, au présent – je me suis tourné vers Robert pour constater que même lui a du mal à définir l’identité : c’est le «caractère de deux objets de pensées identiques». Dès le départ, je réalise combien j’étais loin de savoir ce que je faisais en 2010, puisque nulle part je mentionnais qu’identité et identique provenaient de la même racine latine : idem, c’est-à-dire «le même». Comment aurais-je pu bien définir le concept en ignorant l’étymologie? Prise un. Mon directeur de maîtrise me suggérera de faire ma propre définition, en y incluant tous les éléments que je croyais nécessaires à mon analyse. Bien que l’exercice ait été très intéressant, ma lectrice n’approuvera pas le résultat. Prise deux.
Pour m’aider à continuer, mon directeur m’a refilé un ouvrage collectif intitulé L’identité (voir la notice bibliographique à la fin). Dès les premières pages, il est question des grands paradoxes de l’identité. Celui que je retiens concerne l’unité versus l’unicité. Le livre l'illustre par l’exemple suivant : «Du point de vue de la forme, le docteur Jekyll […] est bien identique à Mister Hyde. Mais évidemment pas du point de vue des comportements (fonctions).» Ainsi, et certains diront évidemment, l’identité est à la fois individuelle (chacun ayant une fonction différente) et collective (Jekyll et Hyde dans le même corps). Je voulais être précis, cibler le collectif, rester dans une définition consensuelle, mais je ne trouvais nulle part une identité s’accordant à mes besoins, aux exigences de mon directeur, aux critiques de ma lectrice et tenant sur moins de 404 pages. L’histoire de 2004 se répétait, ma maîtrise de 2010 m’échappait. Prise trois, retiré.
Je ne sais pas pourquoi je me suis autant entêté sur cette étape académique. Je m’y suis carrément cassé les dents. C’est en relisant des notes sur L’écriture de l’histoire de Michel de Certeau que j’ai pris conscience d’un autre problème majeur dans ma maîtrise : «Comprendre pour [l'historien], c'est analyser en termes de productions localisables le matériau que chaque méthode a d'abord instauré d'après ses propres critères de pertinence.» Je n’ai pas compris ce que je faisais et de ce fait, il m’était impossible d’établir mes critères de pertinence. D’un autre côté, je peux mourir en paix maintenant que j’ai cité Michel de Certeau dans un texte.
Avec le recul, je crois que j’aurais pu me simplifier la tâche. D’abord, utiliser le concept de mentalité, sur lequel Robert est beaucoup plus clair : «Ensemble des croyances et habitudes d’esprit qui informent et commandent la pensée d’une collectivité, et qui sont commune à chaque membre de cette collectivité.» Ensuite, il m’eut été possible de me contenter de rédiger un essai pour accompagner mon projet multimédia, dont j’ai parlé dans le billet précédent.
Sur le sujet j’avais un blocage, un préjugé négatif envers cette forme de maîtrise et je plaçais le mémoire sur un piédestal. Tout cela a aujourd’hui bien peu d’importance, parce que si j’avais basé ma recherche sur une définition du Petit Robert, ou une allégorie du roman de Robert Louis Stevenson, j’eusse été condamné à mort par le tribunal de la méthodologie en histoire.
Pour lire le troisième billet concernant ma maîtrise, cliquez sur le lien suivant :
Bibliographie
de Certeau, Michel. L’écriture De L’histoire. Gallimard, Paris, 2002, pp. 77-78.
RUANO-BORBALAN, Jean-Claude, et al. L’identité, L’individu, le groupe, la société. Éditions Sciences humaines, Auxerre, 1998, 404 p.
Série du Devoir par Monique Durand :
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