À la fin 2009 je préparais un court métrage de fiction que j’ai appelé Allée 27b. Le tournage aura lieu un peu avant Noël et la diffusion officielle ne se fera qu’à l’été 2011, lors d’une soirée collective à la salle le Tremplin, au centre-ville de Sherbrooke. À moins que je ne décide d’écrire sur mes contrats de production vidéo – ce qui serait assez ennuyeux pour vous, comme pour moi – ceci devrait être le dernier billet sur mes brèves aventures de réalisateur.
Pendant mes études collégiales et universitaires, il y avait peu d’endroits où je me sentais mieux que dans les bibliothèques. Au cégep de Sherbrooke, de 1998 à 2000, c’était dans le pavillon deux. Il y avait une grande section toujours fermée, un peu dans la pénombre, dont les fenêtres donnaient sur les pavillons trois et quatre et c’est là que j’aimais m’installer. J’y faisais mes travaux, j’y perdais du temps, j’y lisais des livres plus ou moins pertinents et j’y dormais parfois quelques heures entre deux cours.
De 2000 à 2004 j’allais transposer ces activités à la bibliothèque des Sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. Étalée sur trois étages, elle avait une foule de petits coins où il faisait bon être tranquille. J’allais pourtant y perdre moins de temps qu’au cégep, puisqu’il y avait un local réservé aux étudiantes et étudiants en histoire, qui servait de royaume de la farniente.
Dans ce local, les conversations étaient souvent agréables – mais pas toujours, je ne vous raconterai jamais. Je parlais constamment de cinéma et comme c’est un sujet universel, j’avais toujours quelqu’un avec qui discuter de tel classique, ou de telle nouveauté. Comme je ne pensais et ne parlais que de cela, dans mes cours je concentrais mes travaux sur des films, ou des réalisateurs. Je devenais obsédé par le sujet et à la fin de mes études je ne voulais plus qu’une chose, soit faire mes propres films.
J’avais des idées, mais il me manquait quelques éléments essentiels pour les réaliser, à commencer par de la discipline, du savoir-faire, des contacts, du matériel, ou de l’argent. J’étais dans un état de stagnation et je ne savais pas trop comment m’en sortir. Cette situation allait durer jusqu’à ce que je participe à la Course Estrie en 2009, expérience que j’ai racontée dans ma série de billets Courir. J’y ai acquis juste assez de connaissances pour faire des films amateurs qui avaient un minimum de qualité et dont le récit était cohérent.
Pour construire une histoire, de bons personnages sont essentiels et j’ai eu beaucoup de plaisir à créer les miens. Une fois imaginés, je pouvais les placer dans l’environnement de mon choix. En 2009 ma Frédérique, dont j’ai parlé dans cette série de billets, s’en allait dans un petit village, se promenait dans un champs, tournait autour d’une vieille église en bois. En 2010 elle se retrouvait dans un parc le soir, au bord d’un lac, dans le salon d’une amie. Ce sont pour moi des lieux refuges, en plus d’être des endroits esthétiques. Tourner dans une bibliothèque était naturel et facilité par le bon éclairage et le silence obligé des utilisateurs.
Avec un tel plateau, l’histoire devenait presque secondaire. De toute façon mes idées tournent généralement autour d’une rencontre entre une fille et un gars. J’ai un faible pour les récits romantiques et pour preuve, j’aime Jane Austen sans mesure. Maintenant que j’avais en tête ma base narrative et que j’avais mon emplacement, il fallait que mes personnages se rencontrent. Puis je me suis demandé pourquoi est-ce qu’ils ne se rencontreraient tout simplement pas? Il fallait bien que mon histoire se différencie un peu.
Sophie et Louis, parce que c’est ainsi que j’ai nommé la fille et le gars, ne se verront jamais. C’est parce qu’ils correspondent par des lettres qu’ils glissent entre les pages d’un livre, qu’ils cachent ensuite sous une étagère de l’allée 27b. Malheureusement pour le film, je ne me suis pas attaché à eux. Ce n’est pas à cause de l’interprétation de l’actrice et de l’acteur. Bien qu’ils étaient trop jeunes pour les rôles, ils étaient très bons. Ils comprenaient la motivation derrière chaque action, ils se montraient coopératifs, patients et ils suggéraient de bonnes idées pour l’amélioration technique et narrative du projet. On ne s’attache pas à eux parce que je n’ai pas assez développé leur relation à l’écran.
Le récit est clair et très ramifié dans ma tête, mais je n’ai pas su le raconter au public. Il manque une tonne de petits détails qui auraient donné du caractère à Sophie et Louis, faisant honneur à leur statut de personnages principaux. À la place, j’ai préféré développer ma bibliothécaire.
Elle est celle qui protège la relation de Sophie et Louis. Sans elle le livre dans lequel ils glissent leur correspondance n’aurait pas été replacé dans sa cachette à chaque fois qu’un employé tombait dessus. Sans elle Louis ne découvrait pas le livre caché. Sans elle Sophie n’avait plus ce petit secret qu’elle avait laissé derrière elle, à la fin de ses études. Sans la bibliothécaire, l’histoire n’existait pas. Elle était la véritable héroïne.
Fannie à Gauche, William à droite, Pascal à la caméra |
Si tout cela je le savais en écrivant le scénario, je ne pensais pas que j’aimerais autant le voir interprété. J’ai déjà lu quelque part qu’il était bon lorsqu’on écrit un scénario, de s’inspirer de quelqu’un de réel pour développer un personnage. J’avoue ne pas me souvenir à qui je pensais lorsque j’ai créé ma bibliothécaire, mais je n’ai plus jamais vu le visage d’une autre après le six décembre 2009.
À ce moment j’étais à quelques semaines du tournage planifié et je n’avais toujours pas comblé tous les rôles. J’avais un début d’équipe technique, puisque j’avais déjà demandé à Pascal d’être le cameraman. J’appréciais beaucoup son talent de directeur de la photographie et je m’en remettrai souvent à son jugement visuel et technique. Comme il avait beaucoup de contacts, il me référera une certaine Isabelle en pensant qu’elle ferait l’affaire pour jouer Sophie.
Très impliquée dans le milieu culturelle sherbrookois, cette comédienne, chanteuse, violoniste et organisatrice d’événements est très occupée. Le temps des fêtes approchant, elle était monopolisée par sa chorale à la chapelle des 12 apôtres, ou la Belle chapelle. C’est à cet endroit qu’Annie et moi sommes allés la rencontrer.
En la voyant, je n’ai pas du tout vu une Sophie, mais plutôt l’héroïque bibliothécaire, celle qui protège secrètement la correspondance du monde extérieur. Je lui ai dit dès cette première rencontre. Elle a accepté très rapidement de participer à mon film. Elle ira dans les friperies pour trouver des vêtements qui correspondaient à son idée du personnage. Elle sera ma source de zen tout au long des quelques jours que durera le tournage.
Je n’aurais pas pu avoir meilleure interprète pour ma bibliothécaire, qui reste un de mes personnages préférés. Parce que ce qui transparaît dans le film n’est qu’une infime parcelle de toute la personnalité que j’ai créée dans ma tête.
Je vous raconterai peut-être.
Pour voir, ou revoir Allée 27b :
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