Deux Allemands à la maison et une longue aventure moto



Ce récit commence en novembre 2018. Annie et moi avions demandé à notre hôte de Pokhara, au Népal, de nous organiser le transport pour aller voir le lever du soleil sur l’Himalaya, à partir de Sarangkot. Ce village voisin est perché juste en face du massif de l’Annapurna et du magnifique mont Machapuchare. Afin de réduire les coûts de cette activité, on nous entassera dans un taxi avec deux touristes allemands, Birgit et Sebastian.

Fuyant habituellement ces rencontres du hasard, nous sommes tombés dans le piège tendu par notre hôte. Tout cela, je l’ai déjà raconté dans ce billet. Si j’en reparle aujourd’hui, c’est que nous avons gardé le contact avec ces Allemands et qu’après quatre ans d’échanges de courriels et de messageries instantanées, ils ont fait le choix de venir nous voir dans notre petit univers de Magog.

Panorama du massif de l'Annapurna par Sebastian

En juin ils achetaient leurs billets d’avion et en septembre ils arrivaient à Magog. Ils commenceront par passer une semaine avec nous et avec des vélos ou notre voiture, ils exploreront la ville et les Cantons-de-l’Est. Pour la deuxième semaine, ils se procureront une voiture de location, afin de faire une virée dans d’autres régions du Québec.

Pendant la planification, ils hésiteront longuement sur les régions à visiter. J’essaierai de les aider, mais je crois que je nuirai à leur processus décisionnel en donnant trop d’idées. Ils s’en sortiront très bien après quelques recherches. Ils arrêteront leur choix sur un trajet allant de Magog au Lac-St-Jean par La Tuque, se poursuivant le long du fjord du Saguenay vers Tadoussac et Charlevoix, pour finir avec un petit saut dans la vieille ville de Québec. Cet itinéraire me donnera l’opportunité de m’imposer pendant quelques jours. Je les laisserai partir vers le Lac-St-Jean et j’irai les rejoindre à Tadoussac en moto quelques jours plus tard.

Le fjord du Saguenay vu par Birgit et Sebastian

En 2019 je racontais mon aventure à moto dans la réserve faunique, pendant laquelle mon pote Francis et moi avions parcouru plus de 350 kilomètres sur des routes désertes et des chemins forestiers. Au matin du 15 septembre 2022, ce périple de neuf heures ne m’a même pas effleuré l’esprit et tout ce que j’avais en tête était cet autre voyage de 2019 entre Port-Cartier et Forestville, totalisant un maigre 270 kilomètres de bitume. Vu les souvenirs que je gardais de ce trajet – pluie et moto échappée en pleine circulation – je ne me sentais pas tout à fait à l’aise au départ des 470 kilomètres me séparant de Tadoussac. Deux sources de stress s’ajoutaient : les deux heures que j’allais passer sur l’autoroute 20 et la dense circulation de Québec.

Afin de survivre au trajet, j’utiliserai la stratégie de mon père qui en 2016, lorsqu’il était revenu de nous visiter sur la Côte-Nord, avait fait en moto les 850 kilomètres en une seule journée. Pour y arriver, il s’imposera un arrêt à toutes les heures pour se reposer, s’étirer, manger et s’hydrater. Il prendra beaucoup plus de temps, mais arrivera en un seul morceau chez lui.

Halte surplombant La Malbaie

En ce qui concerne les deux épreuves que j’appréhendais, d’abord l’autoroute 20, si ce n’est qu’elle fut ennuyeuse, n’était vraiment pas si mal et la traversée de Québec se passera bien, malgré le ralentissement dû à un accident sur une section de l’autoroute 40. Une fois sur la route 138 j’étais automatiquement plus à l’aise, malgré les dangers habituels que sont les innombrables camions et la circulation locale toujours pressée.

J’arriverai à Tadoussac en huit heures et 30 minutes, deux heures de plus que ce que nous prenions habituellement en voiture. J’arrêterai au Madrid, à Laurier-Station, à L’Ange-Gardien, à la halte touristique un peu avant Baie-St-Paul et à La Malbaie, sans compter les postes d’essence et un garage pour moto. Je devais acheter de l’huile pour mon véhicule qui en brûle un peu trop. Le vent rendra la conduite plus difficile, mais le contact direct avec les éléments fait partie des défis de la moto. C’était au point où un homme sur le traversier entre Baie-Ste-Catherine et Tadoussac, ne pourra s’empêcher de me demander comment c’était de conduire la moto avec ces bourrasques.

Sur le traversier vers Tadoussac

Je mentirais si je disais que j’étais en pleine possession de mes moyens, mais j’étais à bon port et c’était l’essentiel. J’espérais arriver plus tôt pour croiser Birgit et Sebastian, mais ils étaient déjà partis pour leur activité d’observation de l’ours noir, entre les Bergeronnes et Tadoussac. Je commencerai par aller à l’hôtel. Je n’y croyais pas trop en leur faisant la suggestion, mais pour l’hébergement j’avais demandé aux Allemands de partager les chambres pour diminuer les coûts, ce qu’ils acceptèrent. Je n’étais pas tout à fait à l’aise de m’immiscer dans leur intimité comme ça, mais mon côté radin prendra le dessus assez facilement.

Après avoir laissé ma moto et mes vêtements de route à l’hôtel, j'irai marcher dans le village, chose que je n’avais plus faite depuis l’été 2002, lorsque j’étais de passage en auto-stop. Annie et moi sommes passés par-là des dizaines de fois depuis 2011 et jamais nous ne prendrons le temps de nous arrêter ensemble. Le soir venu je retrouverai les Allemands et nous marcherons longuement pour trouver le seul restaurant ouvert, où il restait des tables libres et où il n’y avait pas que des fruits de mer. Ils me raconteront leurs aventures depuis leur départ de Magog et de par leur récit, me donneront envie d’aller passer quelques jours à Ste-Rose-du-Nord. Vannés, nous rentrerons nous coucher après le repas.


Le lendemain de cette première nuit, je sortirai avant leur réveil pour voir le lever du soleil. Nous ne pourrons profiter du déjeuner inclus puisque nous devions être aux Bergeronnes avant huit heures. Nous avions une croisière aux baleines avec la compagnie Essipit. Nous pourrons observer des phoques gris, des marsouins, un dos de petit rorqual, mais pas de grosse baleine. Le capitaine de notre embarcation nous informera que c’était une saison difficile pour l’observation des gros mammifères.

Bien qu'un peu déçu, j’étais content de leur avoir suggéré la croisière qui est elle-même une superbe façon de voir le fleuve. De plus, la température était magnifique. Nous irons ensuite dîner aux Escoumins, pour finalement nous diriger vers La Malbaie, où nous avions réservé notre deuxième nuitée. Birgit tenait à passer du temps dans la belle région de Charlevoix et dans mes suggestions d’itinéraire, j’avais ignoré ce désir. Je proposais de repartir de La Malbaie assez tôt pour aller vers Québec en passant par les Éboulements et en nous arrêtant à Baie-St-Paul. Je devais croire que c’était assez de Charlevoix, mais Birgit voulait faire un peu de randonnée.

Birgit et Sebastian en randonnée au parc national Grands-Jardins dans Charlevoix

Les Allemands me parleront de leur intention et l’idée me plaira. De cette façon ils allaient en fonction de leur désir et je pouvais faire de la moto tout seul. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais après une journée, j’ai réalisé que je n’aimais pas tant suivre et être suivi. Se tromper de route quand on est seul est à la limite amusant, mais quand quelqu’un se fie sur notre conduite, c’est moins agréable. De faire la route tout seul entre La Malbaie et Québec me permettra de prendre mon temps. J’arrêterai devant l’église des Éboulements et ensuite à un belvédère surplombant Baie-St-Paul.

À cet endroit, un groupe de cyclistes me demandera de les prendre en photo. L’un d’eux me demandera d’où je venais et où je m’en allais. Avec le recul, je voudrais bien connaître leur itinéraire, mais j’ai oublié de lui demander. De là, je suis reparti pour aller rejoindre la route 138. Mon projet initial était d’arrêter dans Baie-St-Paul pour marcher un peu, mais quelque part en chemin, une idée m’est venue. Je n’étais jamais allé à l’île d’Orléans. J’étais vraiment fier d’y avoir pensé, mais je réaliserai bien vite que c’était une idée en vogue.

Route 362 aux Éboulements

Je n’avais pas pensé que c’était le weekend, une journée magnifique et l’automne, donc les récoltes et la saison des pommes. Tout cela combiné avec des travaux à l’entrée de l’île, il me faudra plus de 30 minutes pour traverser le pont enjambant le St-Laurent. Une fois passé le feu de circulation gérant tous les véhicules entrants, ce n’était pas si mal. Tous les autres touristes allaient vers les vergers et les marchés de produits du terroir.

Je m’arrêterai quelques minutes dans le stationnement d’un commerce fermé et je prendrai le temps d’envoyer un message à Annie pour l’informer de ma position. Ce faisant, je me souviendrai que mon fournisseur de produits de cordonnerie, un Audet comme ma mère, m’avait déjà parlé d’un monument à notre ancêtre commun venu s’installer en Nouvelle-France. Je lui envoyai un message pour lui demander s’il se souvenait de l’emplacement et il me répondit rapidement :

St-Jean-de-l’île-d’Orléans, chemin Royal (route 368), juste au coin de la côte Blais.

Monument à Nicolas Audet dit Lapointe

J’avais une quête. J’avais aussi téléchargé les données hors lignes de Google Maps sur mon téléphone. Ça me facilitera la tâche. Je passerai quand même tout droit, reviendrai un peu sur mes pas et installerai ma moto dans un grand stationnement presque désert, juste à côté du monument. Je prendrai des photos et mangerai quelques trucs que j’avais avec moi. Sur place, on mentionnait que je me trouvais sur la terre que Monseigneur de Laval avait donnée à Nicolas Audet, le dit ancêtre. Il était aussi indiqué qu’à sa mort il fut inhumé, ainsi que sa femme, la fille du Roy Magdeleine Després, dans le cimetière du village tout près.

Il ne m’en fallu pas plus pour que je m’arrête un kilomètre plus loin dans le cimetière de St-Jean-de-l’île-d’Orléans, pour tenter en vain de trouver la sépulture de mes lointains grands-parents. Je continuerai le tour de l’île tranquillement, profitant des paysages. Il me faudra encore quelques temps pour sortir de l’île, puis je me rendrai non sans problème, à notre point de rendez-vous dans Québec, l’hôtel Lindbergh.

Église de St-Jean-de-l’île-d’Orléans

Nous avions choisi cet emplacement parce qu’il est facile de quitter Québec à partir de là et parce que des autobus express partent vers la vieille ville juste en face. En raison de travaux et du retrait temporaire de l’enseigne de l’hôtel, j’aurai du mal à me retrouver. Je tournerai en rond jusqu’à ce que je me décide à consulter la carte Google téléchargée le matin.

Je fus un peu choqué de réaliser qu’à mon arrivée en ville, en faisant le plein d’essence, j’étais juste à côté de l’hôtel. Je ferai encore dix kilomètres pour rien – je vous passe les détails par paresse et par honte – mais j’y arriverai. Birgit et Sebastian me rejoindront moins d’une heure après. Nous nous installerons dans la chambre et nous partirons vers la vieille ville avec l’autobus 801.

Le fleuve à Québec

Nous débarquerons un peu avant le parlement et nous ferons un grand tour par les Plaines d’Abraham, l’esplanade et la basse-ville. Je leur montrerai la place royale, où des scènes de Catch Me If You Can furent tournées. Sebastian et moi mangerons des tacos servis lors d’un événement quelconque, pendant que Birgit retournait sur nos pas pour aller se chercher une poutine sur queue de castor.

Nous continuerons à marcher dans la basse-ville avant de remonter vers la haute. Nous rentrerons tranquillement vers notre hôtel. Je ne tenais pas à leur faire passer beaucoup de temps à Québec. C’est un attrait intéressant, mais pour des européens ça devient vite du déjà-vu. Sebastian fera la remarque que ça ne lui rappelait pas tant ce qu’il connaissait de la France, mais qu’il se sentait effectivement quelque part en Europe. Nous rentrerons à l’hôtel. Nous regarderons la télé en français pour qu’ils réalisent que c’est partout pareil, puis nous finirons par abandonner l’espoir de trouver un film à regarder.

Place Royale à Québec, où des scènes de Catch Me If You Can furent tournées

Le lendemain il pleuvait. Ce n’était pas une surprise, mais c’était mon défi final pour ce voyage en moto. Au moins, il y avait peu de vent et j’étais mieux préparé qu’en 2019. C’est-à-dire que j’avais un ensemble imperméable. Nous retournerons vers Magog en prenant des routes secondaires plus agréables que l’autoroute 20. Nous suivrons la route 116 tant que ce sera possible pour nous rendre jusqu’à Asbestos, où nous nous arrêterons au poste d’observation de la mine.

Nous continuerons vers St-Georges-de-Windsor pour savourer une poutine avec le fromage en grain local. J’en achèterai un sac pour Annie. Nous emprunterons encore quelques routes panoramiques, mais les nuages et le brouillard gâcheront les meilleurs points de vue. À notre arrivée à Magog, il pleuvait toujours et j’étais très satisfait de l’étanchéité de mes vêtements, sauf pour les gants et les bottes. Je n’étais ni épuisé, ni découragé. J’avais fait en quatre jours, 1103,6 kilomètres. Ma plus longue aventure moto, à ce jour.



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Quelques détails sur le passage des Allemands au Canada

Durée du séjour
3 semaines

7 poutines mangées
Charles Luncheonette, Magog
Rôtisserie Orford, Magog
Restaurant les 3G, Ste-Rose-du-Nord
Bistro de la Baie, Tadoussac
Queue de castor, Québec
Casse-croute le Frisson, St-Georges-de-Windsor
La Fabrique, Magog

5 films écoutés
The Gentlemen
Les Doigts Croches
Dune
RRR
The Sting

Distance parcourue en voiture, en autobus et en train
(calcul approximatif sur Google Maps)
2330 km

3 grandes villes visitées
Québec
Montréal
Toronto




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