Sagarmatha
Mon cadran a sonné à 4h45 du matin. Je me suis préparé pour aller attendre le taxi dehors. Je devais sortir pour 5h15. Annie s’est rendormie après mon départ. Le taxi est arrivé en retard, mais j’avais tout le temps nécessaire pour me rendre à l’aéroport, pour attraper mon vol pour voir les montagnes.
C’était mon activité tant attendue. Je m’étais informé pour un vol en hélicoptère, mais c’était six fois plus cher. Rappelons-nous que je suis radin. Dans un kiosque de Thamel, le quartier touristique, un agent m’avait fait un prix à 165$US et à l’hôtel c’était 185$US, incluant l’aller et le retour de l’aéroport. Je me suis dis que ça m’éviterait de me casser la tête.
Dans le stationnement de l’aéroport, le chauffeur m’a fait payé 500 roupies. Je ne voulais pas de problème et je me suis dit que je réglerais ça avec le patron de l’hôtel Rising Home. J’ai fait mon enregistrement avec Shree Airlines, je me suis fait taponner deux fois par des gardes de sécurité et j’ai fait le tour du terminal des départs domestiques en 40 secondes.
Sur le tableau d’affichage des vols, la majorité des départs domestiques étaient des «Mountain Flights». Nous devions partir à 6h30, mais le décollage s’est fait à sept heures. La durée du trajet était de 50 minutes. L’avion était un petit appareil commercial, dans lequel les sièges d’allées n’étaient pas occupés. J’étais assis dans la dernière rangée au fond, juste à côté des toilettes. Mon champ de vision était partiellement obstrué par l’aile gauche et le moteur arrière. Ma vitre était sale et je l’ai nettoyé avec le coude de mon manteau. L’extérieur était couvert de la condensation du matin, mais une fois en l’air, le tout allait disparaître.
Au décollage j’ai pu voir la Buddhanath Stupa, que nous avions visitée au tout début du voyage. Il y avait un couvert nuageux assez inhabituel, mais nous l’avons traversé pour découvrir l’Himalaya, le ciel bleu, le soleil et des couleurs magnifiques. Ma position dans l’avion ne serait pas si mal, finalement. Une fois la consigne des ceintures éteinte, on nous a servit un bonbon comme repas.
Comme nous allions vers l’est et que l’Himalaya est au nord, les gens assis à droite de l’appareil ne voyait rien. Tout le monde s’est déplacé du côté gauche. Une consigne surprenante nous a été transmise : nous pouvions chacun notre tour, aller voir la cabine de pilotage, mais il était interdit de prendre des photos. Pourquoi pas? J’y suis allé dans les premiers et le pilote m’a montré au loin, une immense forme pyramidale qui n’était autre que le mont Everest, ou Sagarmatha en népalais. Ce privilège n’a duré qu’une quinzaine de secondes.
J’ai pris des centaines de photos de ce que je voyais : Sagarmatha dans tous les angles possibles, la chaîne de montagnes à perte de vue, les nuages, le mont sacré Gauri Shankar. Quand l’avion a tourné pour rentrer à Kathmandu, tout le monde s’est retrouvé à droite de l’appareil pour revoir les montagnes. Comme il n’y avait personne dans les trois dernières rangées avant la toilette, j’ai pu changer de place sans déranger.
De retour au dessus de la capitale, le commandant nous a annoncé que l’atterrissage était retardé de cinq minutes, à cause du trafic aérien. On nous a remis un certificat pour dire que nous avions vu l’Everest. En sortant de l’aéroport, il n’y avait évidemment pas de transport inclus pour rentrer à l’hôtel, alors j’ai pris un taxi. Le chauffeur était très volubile et m’a parlé pendant tout le trajet.
Si la partie sur sa vie après le tremblement de terre était particulièrement ardue à comprendre, j’ai réussi à saisir l’essentiel sur les mesures de sécurité en place depuis quelques jours dans toute la ville. Le Népal est l’hôte d’un sommet Asie-Pacifique se tenant du 30 novembre au 3 décembre. Pendant ce rassemblement, des dignitaires de plusieurs pays de la région viennent discuter entre autre, de l’aide à la reconstruction au Népal. Il m’a aussi parlé de l’animosité entre l’Inde et le Népal, un classique et de l’intérêt de la Chine pour son pays, un mystère géostratégique. La Chine serait même intéressée, selon lui, à joindre la fameuse SAARC.
Je suis revenu très tôt à la chambre. J’ai déjeuné avec Annie et nous sommes sortis après avoir regardé le programme long en couple de Camille, sur Internet. J’ai parlé de mon histoire de transport inclus avec le patron et il m’a dit que je serais remboursé. C’est une histoire à suivre.
Notre premier objectif était de retrouver une boutique de bols chantant, pour laquelle nous avions eu un coup de coeur au tout début du voyage. L’un des vendeurs était fort sympathique. Nous avons trouvé après qu’un enfant de 10 ans nous ait invité à manger avec sa famille. C’était un moment étrange.
Le vendeur que nous voulions n’était pas là. Pendant au moins 45 minutes, un de ses collègues nous a montré une tonne de bols, tous de différentes grosseurs, qualités, âges, sans que nous trouvions LE son parfait. Le plus intéressant avait 70 ans et se vendait 32000 roupies, ou 400$. L’homme avec qui nous étions voulait tellement trouver un truc à nous vendre, qu’il en était à nous faire essayer des petits bols fait à la machine, à 35$ chacun. À ce moment j’ai tout arrêté, parce que nous perdions tous notre temps.
C’était ni plus ni moins que de la musique et celle-là ne nous plaisait pas. De toute façon, nous avions faim. Nous sommes partis à la recherche d’un restaurant. En passant devant un tailleur, je me suis acheté un Dhaka Topi, ce chapeau typique des Népalais. C’est plutôt laid, mais très drôle. Nous sommes passés devant un dentiste et il exposait des centaines de dents arrachées dans sa vitrine. Ce n’était pas le premier que nous voyions faire ça.
Dans une rue que nous n’avions fait qu’une fois il y a longtemps, nous avons choisi le restaurant Jyasaa. La salle à manger était très belle et très propre. Nous avons commandé un wo: nature et un chatamari aux œufs pour accompagner nos momos à la vapeur. Le chatamari est une galette de farine de riz qui ressemble à une crêpe, sur laquelle il y avait des patates masala (ou quelque chose du genre), et un œuf au centre. C’était correct. Le wo: ressemble à une pancake salée, faite à partir de lentille. Servie avec une sauce à momos, c’était délicieux.
Après le repas, Annie a utilisé la salle de bain du restaurant. Pour s’y rendre elle devait passer devant la cuisine. À son retour, elle a commencé par me dire que la toilette était la plus sale qu’elle ait vue au Népal et nous en avons vue. Elle a enchaîné en disant que la cuisine était aussi dégoûtante et que l’avoir vu avant, nous aurions quitté le Jyasaa. Je ne suis pas allé vérifier.
Nous avons quitté en nous disant que la bouffe était chaude et que ça ne devrait pas poser de problème. Nous verrons bien demain. Tout près du restaurant, j’ai trouvé mon sac North Face, de la couleur et de la taille que je le voulais. Il était un peu plus cher que celui d’Annie acheté à Pokhara, mais je le voulais vraiment.
En passant devant une ruelle, Annie a remarqué un mannequin de Gurkha avec une khukri à la main. C’était la première boutique que nous avions visitée, il y a trois semaines. Nous y sommes retournés et aujourd’hui c’était le patron qui y était. Il parlait très bien l’anglais et avait une attitude extrêmement zen. Il m’a expliqué la provenance de certains modèles et j’ai eu un faible pour une réplique historique des modèles existant au 19e siècle. Je l’ai achetée.
Un employé est entré dans la boutique, a pris ma machette et est parti derrière avec. Il l’a brossée et polie pendant une dizaine de minutes pour qu’elle redevienne parfaite. Il a appliqué une couche d’huile sur la lame au carbone et le patron me l’a lui-même emballée. Annie a choisi une petite lame de cinq pouces, parfaite comme coupe papier. Ils nous ont donné des certificats pour attester que ce sont des pièces de collection et non des armes, pour éviter les problèmes à la frontière.
J’étais vraiment de bonne humeur avec ma toute nouvelle khukri. Nous avons décidé à ce moment qu’il était temps de retourner à l’hôtel pour laisser un peu de notre chargement. C’est que nous avions aussi acheté des cadeaux aujourd’hui et ça devenait lourd. Nous avons croisé un vendeur d’étampes à la poudre et Annie n’a pas résisté. Quand nous avons pris une photo avec le vendeur, trois jeunes qui regardaient avec nous ont pris la pose.
À la chambre, nous avons mangé des biscuits au chocolat pour nous donner l’énergie de ressortir. Nous sommes allés nous planter au bout de la ruelle et avons signalé au premier taxi qui est passé. Il nous a pris pour aller à la Buddhanath Stupa. Nous avions beaucoup aimé notre journée là-bas et nous avions envie d’y retourner. Nous avions aussi remarqué quelques trucs à acheter, que nous n’avons revus nulle part ailleurs.
Pour s’y rendre nous avons passé devant le Hyatt Regency, clairement l’hôtel le plus luxueux de la ville et la quantité de militaires et de policiers armés qui s’y trouvaient, nous a confirmé que les dignitaires étrangers devaient y loger. Le taxi nous a déposé devant l’entrée de la stupa. Les chauffeurs vont toujours essayer de vous laisser le plus près de votre destination, même si vous leur dites d’arrêter.
Nous avons payé notre entrée et avons commencé à faire des tours dans le sens des aiguilles de l’horloge. Nous avons encore acheté quelques cadeaux. Nous avons trouvé le sac Fjallraven de contrefaçon qu’Annie voulait. Il y avait une boutique de bols chantant où je me rappelais en avoir vu un très beau, nous nous sommes arrêtés.
Il était toujours là.
Le dessin dedans s’appelle Buddha Power. C’est Bouddha avec sa reine consort, nus et en train de s’embrasser. L’image était un peu kitch, mais je l’aimais bien. Par contre, en faisant chanter le bol j’ai été plutôt déçu. Il n’avait pas de personnalité. Nous en avons essayé quelques autres, sans l’aide du commis qui était très occupé avec une touriste indienne. Elle posait mille questions et insistait pour payer avec ses roupies indiennes.
Nous avons enfin trouvé le bon son. Annie et moi nous entendions pour dire que le bol était parfait en tout point. Non seulement il était beau, avec le symbole de l’infini dessiné au fond, mais le son était très grave et durable. Nous avons demandé le meilleur prix possible, le commis a ajouté un coussin en beigne rouge pour déposer le bol, un maillet et le bâton habituel. Nous n’avons pas insisté pour baisser davantage le montant, nous étions trop content d’avoir trouvé.
Après trois tours en bas et un sur la stupa, nous avons décidé de rentrer. Nous avons trouvé un taxi dont le chauffeur avait une petite toux. De notre véhicule, j’ai vu Pierre et Ornella, le jeune couple de Français qui nous avait si gentiment fait faire un petit tour pour briser la glace, à notre premier jour en ville. Ils se dirigeaient vers la stupa. Nous n’avons pas eu le réflexe de demander à notre chauffeur de s’arrêter.
Dans la chambre, nous avons calculé le coût de la journée. Moi qui croyait que nous ne ferions jamais pire qu’hier.
Pour lire la suite de ce voyage :
2018-12-02 - Sanjay et Bhakta
2018-12-03 - Les ruelles de Kathmandu
2018-12-04 - Les yeux de tigre
2018-12-05 et 2018-12-06 - 35 heures et 57 minutes