Le déluge – Partie 2 : La côte-Nord


Avez-vous lu la première partie de ce texte?
 
Avant de partir de Sherbrooke j’espérais attraper le bateau pour Baie-Comeau, parce que dans ma tête c’était plus logique. Sur le plan géographique, aller à Godbout rallongeait mon itinéraire de retour. L’horaire consulté en ligne n’était pas en ma faveur et j’ai dû y aller pour le départ vers ce village. La traversée était géniale. J’adore les bateaux et c’est pourquoi nous ferons le Transatlantique en 2014 et le Transpacifique en 2018. Le fleuve était calme et j’ai passé l’essentiel de mon temps sur le pont supérieur, à regarder l’horizon qui était limité par le brouillard. C’est ma seule déception puisque je n’ai pas vu l’approche de la Côte-Nord.

Cette région occupe beaucoup de place dans mon imaginaire aventurier, dans mon appel du Nord. C’était la première fois que j’y posais le pied. Aujourd’hui, je suis bien content d’être arrivé à Godbout, puisque l’accueil ne se limitait pas à un port industriel, au beau milieu d’un nœud ferroviaire, entouré d’usines, à quelques pas de quartiers résidentiels proprets et d’un centre-ville en plein développement. Baie-Comeau reste une grande ville et bien que les paysages l’entourant soient magnifiques – je vous recommande à tous de faire le tronçon de la route 138 entre cette ville et Baie-Trinité – elle ne possède pas ce charme du village pittoresque nord-côtier. 
 
 
Lorsqu’on parle de Godbout, c’est autre chose. Ce village est beaucoup plus représentatif d’une réalité régionale. Son économie repose sur une seule activité, malgré tous les efforts mis en place pour la diversifier et ne plus dépendre entièrement de la desserte maritime vers le Bas-St-Laurent. La population est en constante décroissance. La distance la séparant des centres économiques est trop grande pour en faire une banlieue dortoir.

Je dois avouer que j’ai fait comme tout le monde et je ne m’y suis pas attardé. C’est le désavantage de l’auto-stop chez moi, je ressens toujours le besoin de pousser en avant, pour être certain de ne pas rester pris quelque part. Un jeune homme allant vers Sept-Îles m’a fait faire les quelques kilomètres entre le village et la route 138 et je me suis installé en direction de Baie-Comeau, juste en face du motel Chantal.
 
Celui qui allait me prendre à cet endroit s’appelait Louis. Il était géologue et il venait de Sept-Îles. Il s’en allait chercher sa fille à Tadoussac. Elle devait le rejoindre avec l’autobus arrivant de Québec. Il avait beaucoup, beaucoup de choses à raconter sur sa vie et son travail. Il était très gentil et n’était pas un insupportable sait-tout. Il écoutait bien et posait des questions. C’est pourquoi je me souviens de son nom et pas des autres.

Il m’a déconseillé d’arrêter à Baie-Comeau parce que je n’y trouverais rien à faire. Aux Bergeronnes il s’est arrêté au camping et je l’ai aidé à monter sa tente, où il revenait passer la nuit avec sa fille. Nous sommes arrivés avant l’autobus de celle-ci et ainsi, il m’a fait faire un petit tour de Tadoussac et nous avons aussi pris une marche. Quand je disais qu’il était gentil.

Pour ma part, j’ai décidé que je ne continuerais pas sur le pouce et que j’allais prendre l’autobus pour relaxer et récupérer un peu de sommeil. Quand est venu le temps d’aller chercher sa fille, je l’ai suivi et je me suis acheté un billet. Je n’ai pas eu à attendre longtemps avant le départ et c’en était fini de ma première aventure sur la Côte-Nord. J’ai fait la route jusqu’à Québec, où je suis arrivé en fin de journée. Il n’y avait pas d’autobus pour Sherbrooke avant le lendemain matin. Plutôt que de me relancer en auto-stop, ou de me diriger vers Montréal, pour ensuite profiter des horaires plus fréquents vers Sherbrooke, j’ai eu pour réflexe de dormir sur un banc à l’extérieur du terminus de Ste-Foy.


Ce n’était pas ma plus brillante décision, mais d’un autre côté, je n’étais pas pressé de rentrer. Avant de m’installer pour la nuit, j’ai marché un peu aux alentours du terminus. J’ai soupé le plus lentement possible dans une brasserie. Je me suis arrêté dans un parc pour discuter avec des adolescents frustrés et un peu saouls. Ils n’étaient ni drôles, ni intéressants, mais ça m’a permis de passer le temps. Je suis retourné sur un banc et l’employé qui fermait le terminus m’a vu étendu là. C’était le même à qui j’avais parlé à mon arrivée pour acheter mon billet vers Sherbrooke. Il m’a offert de laisser un abribus rattaché au bâtiment déverrouillé, pour que j’y passe la nuit au chaud. Je l’ai remercié et suis allé dormir quelques heures tranquilles.

Le lendemain j’ai déjeuné dans le restaurant du terminus, juste avant de prendre le bus qui allait me ramener chez moi. Une fois à Sherbrooke, mon logement était toujours dans le même pitoyable état, mais je me sentais mieux. Ce court voyage avait bien joué son rôle, me changeant les idées et me rendant plus zen. Quelques jours après mon retour, je marchais avec mon ami Guillaume et je lui racontais tout en détail, du début à la fin, en incluant des passages de 1996 et 1998.

Je ne suis pas certain si à ce moment je me doutais de mon avenir en auto-stop. Le sentiment d’euphorie toujours présent et le désir de raconter un séjour exceptionnel, m’empêchait sans doute de réaliser l'évidence : cette virée sur la Côte-Nord était la dernière du genre. N’étant pas d’un naturel courageux, je suis particulièrement fier de mes voyages sur le pouce. Cela fait aussi que cette activité ne me manque pas. La dernière fois que j’y penserai sérieusement sera en 2012, en Roumanie. Annie et moi essaierons de nous sortir d’une mauvaise passe avec le stop. Comme ça ne fonctionnera pas, nous abandonnerons l’idée et elle ne refera plus surface.


Commentaires